Le party
par Laurent Saulnier
dans VOIR, 6 décembre 1996
Article

Ainsi, Jean Leloup faisait sa grande rentrée montréalaise, jeudi dernier, au Spectrum. Et vous savez ce qui est le plus étonnant? C'est que ça n'avait, finalement, pas grand-chose à voir avec ce qu'il nous avait présenté au mois d'août pendant les FrancoFolies de Montréal.

Parce que - là aussi, on va de surprise en étonnement - Leloup a tenu parole. Dorénavant, ses nouvelles chansons passeront par la scène avant d'être immortalisées sur disque. On a donc eu droit à une demi-douzaine de toutes nouvelles pièces, tellement récentes qu'elles ne se trouvent même pas sur l'excellent Dôme. Et ces chansons inédites semblent, encore une fois, d'une très grande qualité. Et il s'agit vraiment de nouvelles nouvelles chansons. Pas de nouvelles versions de chansons qu'il nous servait il y a quatre ou cinq ans, à la Castel impossible, que l'on connaissait par coeur sous le titre de Manoir à l'envers, avant de faire son apparition sous Le Dôme.

Si le nouveau show est différent, c'est aussi que Johnny The Wolf a énormément travaillé. Il ne s'est pas contenté de reproduire les arrangements que l'on connaît sur ses disques ou qu'on se rappelle avoir entendus l'été dernier. Chacune des chansons qui composent Comme vous avez de grandes dents a été retravaillée, réarrangée, modifiée, en fonction des humeurs musicales du moment du chanteur, mais aussi avec les forces de chacun des musiciens qui l'accompagnent: Mark Attitude Lamb (particulièrement jouissif) à la guitare, Alain Bergé (métronomique et inventif) à la batterie, Alex Cochard (solide) à la basse, Monica Hynes (plus en évidence que l'été dernier) aux voix, et la généreuse participation de James Di Salvio aux tables tournantes.

Jean Leloup qui travaille, voilà une excellente nouvelle. Et il ne l'a pas fait à moitié. D'une version dub de 1990 à une version uniquement à la guitare acoustique d'Alger, Leloup a injecté de nouveaux sons, de nouveaux rythmes sur ses classiques: Isabelle, Cookie, Nathalie, L'Antiquaire, etc. Même certaines chansons du pourtant récent Dôme ont été retravaillées, mises dans une nouvelle forme pour le spectacle.

Et il y a plus. Il y a simplement l'idée de retrouver Leloup sur scène: son grand sourire triomphant lorsqu'une chanson est particulièrement bien réussie, son grand sourire baveux lorsqu'il a l'impression de nous en avoir passé une petite vite, son grand sourire interrogatif lorsque nous avons une réaction qu'il n'attendait pas. Sur scène, Leloup a toujours souri assez facilement, mais cette fois, j'ai l'impression, plus que jamais. Ces trois ans de retraite lui ont, je crois, fait comprendre que faire de la musique avec ses amis est une des choses qui lui importent le plus en ce moment. Et qu'il s'en est ennuyé.

Ces trois années nous ont aussi fait comprendre qu'il nous manquait cruellement. Honnêtement, je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai vu autant de monde sur le party lors de la première d'un artiste québécois (probablement parce que je n'ai pas vu celle de La Grande Saloplumerie...). Et ça, c'est vraiment Leloup. Ce gars-là a le don de transformer n'importe quel rassemblement public en un immense party. C'est immanquable, inévitable, quasi indécent.

Et c'est pour cette raison, en plus de l'incroyable qualité des chansons, que je retournerai le voir, avec un plaisir toujours renouvelé, pas plus tard que le 13 décembre au Métropolis. Des shows comme celui-là, il n'y en a juste pas suffisamment...

Le groupe californien Tool était au Métropolis vendredi dernier, suite à la parution de son deuxième album, Ænima, qui connaît un étonnant succès sur les palmarès américains. Personnellement, je n'embarque pas beaucoup dans ce trip. J'aime bien l'agressivité de Tool, mais moins lorsqu'elle se vautre dans des relents de progressif, comme on l'a vu vendredi. Le problème récurrent de cette enflure musicale est le même qu'il y a vingt ans: on oublie qu'il s'agit d'abord et avant tout de chansons, et on se concentre sur les difficultés musicales, sur les prouesses techniques, sur la volonté d'impressionner le client. Alors que celui-ci, dans le fond, voudrait simplement triper sur la musique, se laisser aller dans des grooves, faire un peu de head-banging.

Et ça, malheureusement, Tool nous empêche continuellement de le faire. Lorsqu'il semble lancé sur un bon rythme, rapidement, manie progressive oblige, le groupe le casse et part dans une nouvelle direction. Un bon musicien ne fait pas toujours un bon grooveur. Un bon technicien ne fait pas nécessairement un bon compositeur. Un bon show n'est pas fait uniquement de démonstration instrumentale. Parce que, pendant ce temps, la seule chose qu'on a envie de faire, c'est de se tirer. Alors que, pendant un show de Leloup, on veut rester jusqu'à la fin, parce qu'on ne sait jamais ce qui va arriver...

L'excellent groupe new-yorkais Soul Coughing montait sur la scène des Fouf le mardi 26, histoire de nous présenter en direct le contenu de son deuxième album, Irresistible Bliss. Comment décrire la musique de Soul Coughing? Un batteur extraordinaire, un contrebassiste fou, un claviériste qui ne joue que de l'échantillonnage (des bruits, des sons, plus que des notes), un chanteur-rapper à peine guitariste mais vraiment allumé.

Soul Coughing s'inspire des rythmes hip-hop, mais en fait complètement autre chose. Ça peut faire penser à Beck, mais en beaucoup moins pop. Ça pourrait être de la musique de film noir, mais sans les clichés à la Mission impossible. Ça pourrait être un exercice vachement intellectuel, mais, fondamentalement, il n'y a que des grooves. En fait, c'est complètement et uniquement new-yorkais. Il n'y a que dans cette ville que ce brassage d'idées et de genres peut encore exister.

Et, comme ils le suggèrent eux-mêmes, c'est surtout irrésistible. J'en ai encore les genoux qui fléchissent en cadence...

(Article original)


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Dernière mise à jour le 31 juillet 2000.
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