L'appel de la nature
par Laurent Saulnier
dans VOIR, 27 mars 1997
Critique

Sa voix, qui nous est parvenue sur compact en tout début d'année, semble venue de l'âge de pierre de l'enregistrement. On a dit qu'elle avait du Billie Holiday dans le nez, et du Bessie Smith dans la gorge. Madeleine Peyroux effectuait son premier passage montréalais au début de la semaine au Jello Bar. André Ménard, le programmateur du FIJM, disait en la présentant: «Bienvenue au premier spectacle du Festival International de Jazz de Montréal 1997.»

Et nous n'avons pas été déçus. Cette voix, qui semble avoir été gravée sur un 78-tours, est vraiment sa voix. Sans qu'elle ne force, sans qu'elle ne la force. Une voix aussi naturelle que la chanteuse elle-même, qui arrive sur scène sans artifices aucun,; laissant son talent inné nous séduire, et comptant uniquement là-dessus.

Elle a bien fait. Parce que ce n'est pas son groupe d'honnêtes tâcherons de musiciens qui pourrait remplacer l'équipe de rêve (James Carter, Cyrus Chestnutt, Vernon Reid, Marc Ribot, Greg Cohen, etc.) qui l'accompagne sur Dreamland, son premier compact, et avec qui on pourrait la voir lors du Festival de Jazz. Ce qui nous séduit, c'est d'abord et avant tout Madeleine Peyroux, sa voix, son charme naturel.

Et attention. On a beau nous la vendre comme chanteuse de jazz, en la voyant sur scène, on comprend que son propos n'est pas là. Ce que Madeleine Peyroux fait, c'est de la chanson. Elle puise dans le grand héritage américain d'avant le big-bang des années 50: le folk, le country, le jazz, le blues, la musique louisianaise, etc. Son enrobage rappelle le vieux jazz, mais ses interprétations n'en sont pas. Elle ne blowe pas, son orchestre non plus. Elle s'en tient rigoureusement à ce qu'elle sait de la chanson. On l'a d'ailleurs vue s'embourber assez dangereusement dans son interprétation récente de Que reste-t-il de Charles Trenet.

Mais, c'était après qu'elle nous eut charmés avec La Vie en rose, Walking After Midnight, Lovesick Blues, et plusieurs autres classiques, et mêmes quelques chansons écrites de sa main.

Ah, j'oubliais, Madeleine Peyroux n'a que vingt-deux ans. Lorsqu'elle sera grande, elle sera vraiment grande...

Je suis retourné voir Jean Leloup au Spectrum, vendredi. C'était la quatrième fois que je le voyais, et probablement la meilleure. Son groupe est maintenant soudé au maximum, et se permet encore plus de libertés (parlez-en à Mark Attitude Lamb), sans jamais virer au jam sans queue ni tête, comme c'était le cas au Métropolis en décembre. Et la version de Johnny Go de vendredi dépasse toutes celles que j'ai entendues.

Même si nous étions mille deux cents à avoir un gros fun noir, à la fin du show, Leloup a lancé: «Vous êtes vraiment gentils de m'applaudir comme ça, avec la performance que je donne...» Ce qui nous a valu une deuxième partie raccourcie, un rappel terminé en catastrophe, et pas le deuxième rappel (normalement réservé à 1990). Pire: le spectacle du lendemain, le samedi 22, a même été carrément annulé.

Diagnostic du médecin de Leloup: deux semaines de repos obligatoire; le chanteur souffre d'épuisement généralisé, après dix jours de promotion à Paris, juste avant ces deux spectacles. Le show du 22 est reporté au 26 avril. Prompt rétablissement.

Tout de suite après Leloup, j'ai couru jusqu'au Medley pour voir le show de Luciano, l'étoile montante du reggae. Si je n'ai pas été deçu, loin de là, je ne peux pas dire non plus que j'ai vu le futur du reggae. Il me semble que la performance de Buju Banton, au même endroit au printemps dernier, était beaucoup plus sastisfaisante.

Luciano donne dans un reggae assez spirituel. D'ailleurs, les premières trente minutes du show étaient essentiellement consacrées à Jah. Comme ça, on n'avait plus besoin d'aller à la messe dimanche. Puis, petit à petit, Luciano a pris de la voix et de l'ampleur, jusqu'à ce que ça lève vraiment. Lentement, mais sûrement.

Coma, duo montréalais réunissant la chanteuse Pascale Coulombe et le guitariste Nicolas Maranda, montait sur la scène du Cabaret, mercredi dernier. Une espèce de première montréalaise pour le groupe qui vient tout juste de relancer son premier album, complètement remixé, sauf pour leur premier succès au palmarès, Une araignée au plafond.

Le show fut très décevant. Coma n'a, pour l'instant, aucune direction. Le groupe tente de tout faire, mais ne réussit vraiment rien. Le message n'est pas clair: Coma est-il une fabulation corporate ou bien un vrai groupe à qui il manque la fameuse street-credibility?

Pourtant, nous avions confiance en Coma. Pascale Coulombe nous a montré qu'elle est une vraie chanteuse. Quant au talent de Nicolas Maranda, il ne fait aucun doute. Mais la sauce Coma n'a jamais levé. Il faudrait bien qu'un jour le groupe s'assoie, et tente de se trouver une voie. Une vraie.

Pour l'instant, le message ne passe pas.

Depuis quelques mois, un groupe montréalais fait beaucoup parler de lui, et plus spécifiquement chez les anglophones de Montréal: les Kingpins, qui étaient au Cabaret samedi. Je dirais même plus: qui ont rempli à pleine capacité le Cabaret samedi.

Les Kingpins ont, en quelque sorte, remplacé Me, Mom & Morgentaler. Ils donnent dans un ska à saveur rétro, avec une guitare qui rappelle le surf assez régulièrement, et qui n'a pas été contaminé par le punk californien. Voilà qui est vraiment bien. Les Kingpins, à n'en pas douter, forment un redoutable groupe de party. La foule rameutée au Cabaret n'avait visiblement qu'une seule envie: danser. Ce qu'elle a fait pendant près de deux heures. Sans relâchement ni sur scène ni dans la salle.

Attention, exploit.
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Dernière mise à jour le 1 avril 2008.
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