Jean Leloup du rock, des femmes...
par Frédéric Tomesco
dans Voir, 23 août 1990
Article

« Dans une avenue je m'incrustais
Je devenais la cible des grands
Et c'est pourquoi je vais encore déménager
»
-Rock'n'roll pauvreté

Leloup a faim. Devant lui, à peine servi, le pauvre plat de tortellini n'en a pas pour dix minutes à fumer. Chemise de mécanicien défraîchie et barbe de trois jours, la crinière en bataille et l'oeil malicieux, notre homme attaque sa pitance comme un naufragé revenu sur terre après une longue dérive. Entre tournage et montage de son nouveau clip, L'Amour est sans pitié, pièce-titre de son deuxième 33 tours, Jean Leloup trouve à peine le temps de souffler qu'il lui faut déjà cracher le morceau: content, cette fois-ci?

Vous connaissez sans doute l'histoire de son premier opus, cent fois retardé, mille fois décrié par son créateur parce qu'enregistré les mains liées. Trop de synthés, de concessions, de ronds-de-jambe radiophoniques, l'intéressé s'en était tellement excusé qu'on attendait la suite de pied ferme. Leloup reclassé rock'n'roll par le biais d'un gang, La Sale Affaire, dangereusement fantasque, le revirement pouvait en énerver certains - nettement moins, il faut le dire, que ses pitreries scéniques dignes d'un Coallier de fortune. Grande gueule, l'artiste? Juste un peu fanfaron.

C'est alors qu'arrive L'Amour est sans pitié, disque sautillant qui remet bien les pendules à l'heure. Chose promise, chose due, voilà du rock comme on l'aime: drôle, solide, varié, bien torché, quelque part entre T-Rex et Téléphone. Les chansons - neuf en français, trois en anglais - ont l'avantage d'avoir vécu (certaines, comme Barcelone, Isabelle ou Think About You, font partie de son show depuis l'automne dernier), et ça se sent «J'ai mis mes couilles sur cet album», résume l'énergumène. «Je ne peux pas le renier!». Nerveux, Jean Leloup n'arrêtera pas de soupeser ses chances au cours de la conversation. D'un extrême («On va gagner») à l'autre («Ah... je sais plus»), on le sent prêt à aborder un rôle auquel rien, sinon son inconscience, ne le destinait: celui de funambule.

Pari appelé à être vécu, si tout se passe bien, comme une délivrance. «Je travaille dessus depuis six ans. Si tu comptes, avec douze chansons sur le microsillon, ça donne une moyenne de deux titres par année. Or moi, j'en écris trois par mois! En bout de ligne, il en reste donc très peu qui ont passé assez de temps en moi pour sortir en force. Ce disque, c'est un paquet de morceaux qui ont survécu à huit ans de changements d'opinion.» Se répéter, voyez-vous, lui fait diablement peur. «Je ne vois pas la musique comme un métier, mais comme un coup de coeur. Je ne comprends pas ceux qui veulent faire carrière. Moi, je veux juste sortir mes disques, tripper, faire des shows. Après, j'espère ne pas être assez encroûté pour tourner la page.»

D'ici là, Leloup joue quand même les écureuils. Son 33 tours est à peine sorti qu'il possède déjà assez de matériel pour en enregistrer deux autres - «et à mon goût, insiste-t-il: un truc très sale, on dirait du Led Zep...». Sans compter divers "remixes" confiés à des D.J.'s montréalais, un scénario de film et une poignée de nouvelles, qu'il espère voir publiées un jour. La pauvreté serait-elle l'élément moteur du rock? «La galère, c'est l'idéal pour déceler les travers du monde. Quand t'as besoin de 20 $, tu vois facilement si les gens sont égoïstes. Si t'en as pas besoin, tu les trouves bien sympathiques.»

À l'honneur de ce tableau sans fard ni complaisance, des personnages qui, invariablement, dérapent au seuil de l'âge adulte: Virginie, Anabelle, Cookie, Nathalie, Mariane, Catherine, Sylvie, Paula, Marie-Lucille et Isabelle. Seulement des dames! «Ouais, et puis? C'est typiquement rock'n'roll. C'est vrai qu'il n'y a pas de personnage masculin, à part monsieur Méconnaissable, dans Dr. Jekyll & Mr. Hyde. Les filles dont je parle prennent beaucoup de dope. J'en connais des tas qui se droguent. Les filles cutes, qui sortent de l'école et ne savent pas où elles s'en vont, c'est un peu ce milieu-là que je fréquentais. J'ai été très impressionné. Les noms de filles, moi, ça me cogne les oreilles.»

Les étiquettes, par contre, auraient plutôt tendance à le faire rager. Surtout celle, qu'il a encore sur le coeur, de prétentieux. L'explication est pourtant simple: «Si je parle autant sur scène, c'est pour permettre à mes musiciens d'accorder leurs instruments. C'est pour ça que je dois leur fournir du meilleur matériel. J'ai hâte au jour où je pourrai me fermer la gueule pendant un show entier.»

Photo J.-F. Leblanc / Agence Stock: Jean Leloup: "Je veux juste sortir mes disques, tripper, faire des shows."

Merci Alex!

MCC, LTC
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Dernière mise à jour le 15 février 2005.
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