Jean Leloup: le combat de l’instinct contre la raison
par Philippe Meilleur
dans Rue Frontenac, 25 avril 2009
Entrevue

Près de vingt ans après sa célèbre tirade antiguerre 1990, Jean Leloup ressuscitera sur disque cette semaine pour livrer une nouvelle offensive contre la violence et les combats. «La guerre ne fait simplement aucun sens», nous confie le créateur du très attendu Mille excuses Milady.

Tuque paresseusement posée sur la tête, regard fuyant mais passionné, gestes un tantinet nerveux: la personnalité excentrique de l'artiste assis devant nous dans un café du nord de Montréal ne fait aucun doute. Ses propos, qu'il distille avec une vitesse parfois étourdissante, sont empreints d'une intelligence hors normes, de celle que possèdent les esprits différents. Curieux, le chanteur pose autant de questions qu'il répond aux nôtres, se passionnant autant pour le comportement sur scène des artistes africains que pour le conflit au Journal de Montréal ou l'un de ses nombreux voyages. On le sent un peu nerveux devant la caméra, mais il se prête au jeu de l'entrevue de bon cœur. À le voir déballer les opinions ainsi, les derniers doutes s'effacent de notre esprit. Jean Leloup, le vrai, est bel et bien de retour, après cinq ans d'absence sur disque.

«Je n'ai jamais voulu que ma carrière devienne une job, dit-il à propos de la mort de son personnage. Je ne suis pas un chanteur, je suis un gars qui se promène avec sa guitare. Depuis que j'ai compris ça, j'ai l'impression de vieillir beaucoup plus lentement que les autres, en fait, de ne pas vieillir du tout.»

On pourrait dire la même chose à propos de certains de ses thèmes fétiches, comme le voyage, l'aventure et, bien sûr, la guerre et ses saloperies, qui sont tous explorés sur ce nouveau Mille excuses Milady. La pièce-titre de l'album est particulièrement savoureuse. «Oh pardon chère milady / J'ai montré à vos petits / Des images du désert / De quelques morts en enfer / Car les têtes dans le sable / Sont parfois plus douloureuses / Que celles des autres chanceuses / Des crêpes au sirop d'érable», y chante-t-il.

«C'est l'histoire d'un général de l'armée qui envoie des photos de soldats morts à une femme de la noblesse supportant la guerre, explique le créateur. J'ai écrit ça après avoir vu dans la rue un jeune homme en uniforme de combattant. Je me suis dit: Pauvre lui, il n'a rien à faire dans un conflit qui a commencé avant même sa naissance. La guerre ne fait aucun sens, et j'ai voulu écrire cette espèce de lettre pour qu'on s'en souvienne.»

Alors que les États-Unis et le Canada combattent conjointement le régime taliban en Afghanistan, Jean Leloup trouve-t-il désolant de devoir répéter sensiblement la même chose qu'il y a vingt ans? Le chanteur marque une (rare) pause pour réfléchir.

«La guerre continue et ça m'est arrivé de bouder le public pour ça, oui. En spectacle, les gens applaudissaient à la fin de 1990 mais ils n'apprenaient et ne changeaient rien. Mais je ne les juge pas, ils doivent gagner leur vie en travaillant fort et n'ont pas de temps à consacrer à ces causes. Ça me désole quand même de voir que certains deviennent leur propre bourreau. Ce n'est pas censé être ainsi.»

Retour sur le pow-wow de Québec

Pour son grand retour sur disque, Leloup a signé un long texte très personnel dans le livret de Mille excuses Milady. Question, on imagine, d'outrepasser les métaphores de la chanson et de s'adresser directement aux amateurs. «Ça fait 25 ans que les gens essaient de faire ma psychanalyse, répond Leloup. Ce livret est une façon de leur dire: Vous vouliez savoir qui je suis et ce que je pense? Voilà! Ça m'a permis d'aller plus loin, d'en donner un peu plus que seulement les paroles des chansons. Je vois ce texte comme un petit manifeste de ma personnalité.»

«J'en ai aussi profité pour revenir sur le fameux show de Québec l'an dernier, le pow-wow au Colisée, poursuit-il. Je ne pensais pas que les gens prendraient ce spectacle aussi sérieusement. J'avais envie de faire une grosse fête pour souligner l'imbécillité de l'homme blanc, qui a envahi les Amérindiens il y a quatre siècles. Mais dans la tradition rock, on se dit la vérité sans se prendre pour des tatas. Quand j'ai dit sur scène que j'avais mal aux oreilles et que ça ne dansait pas assez dans le Colisée, c'était honnête, tout simplement. Ailleurs, les artistes sont considérés comme les égaux des spectateurs, comme leurs amis. Et un ami doit dire franchement ce qu'il pense, pas essayer de faire plaisir à tout le monde. Cela dit, après une heure de rodage, le spectacle a pris son envol et tout le monde s'est bien amusé. Ça a été l'un de mes meilleurs shows à vie, au bout du compte.»

Voilà une réponse qui enragera certainement certains inconditionnels déçus de cette prestation déjà légendaire.

Manuel de survie

Au-delà des petites controverses, Leloup est déjà rendu ailleurs dans sa tête. Le lancement de Mille excuses milady n'est pas encore complété que l'artiste pense déjà à ses projets, comme la rédaction d'un manuel de survie pour ceux qui veulent changer d'existence.

«Je veux expliquer comment s'en tirer dans la vie en quittant sa job, dit-il. Quels pièges éviter, quoi acheter, comment voyager efficacement, ce genre de choses. Le livre sera surtout composé de conseils que j'ai glanés à des gens autour de moi, des vagabonds ou des ex-prisonniers que j'ai rencontrés. Des gens qui ont su apprendre à survivre.»

Pendant qu'il prononce ces paroles, les yeux de Jean Leloup scintillent d'un enthousiasme sincère. On le sent plus que jamais apte à reprendre les armes pour livrer son combat, celui de la liberté au sens primaire, celui de l'instinct contre la raison.

Non, sa guerre n'est pas encore terminée.

Photo Hugo-Sébastien Aubert: «Je ne suis pas un chanteur, je suis un gars qui se promène avec sa guitare», nous a expliqué cette semaine Jean Leloup.

Photo Hugo-Sébastien Aubert: Au-delà des petites controverses, Jean Leloup est déjà rendu ailleurs dans sa tête.
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Dernière mise à jour le 30 mai 2009.
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