Jean Leloup à Québec: Y es-tu... sur scène ?
par Pascal Evans
dans RFI Musique, 19 mai 1999
Critique

Le jeu de cache-cache n'a pas duré plus de 10 minutes. Une foule éclatée, non conventionnelle qui s'apparente parfois à certains des pittoresques personnages de "La Guerre des étoiles", a sorti Leloup de sa tanière et la bête s'est mise à rugir. Le vendredi 7 mai au Capitole de Québec, l'artiste le plus passionnant de sa génération, connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche ou dans un petit pot de miel, débute son show de sa loge où il nous fait la lecture du dernier livre de Bill Gates, qu'il ne porte visiblement pas dans son cœur. Le ton est donné. Le public est déchaîné et des effluves (interdites ?!!) flottent déjà dans l'air avant même que "l'animal" n'entre en scène.

Jean "the wolf" (son surnom) approche de la quarantaine. La cigarette et l'alcool sont choses du passé mais il n'a rien perdu de son mordant et semble plus que jamais en pleine possession de ses moyens, offrant un spectacle à la hauteur de son dernier album "Les Fourmis", que bon nombre de critiques n'hésitent pas à qualifier de chef d'œuvre. Pour comprendre le phénomène, il faut peut-être partir du début. Né en 1961 au Québec, il n'a que trois ans lorsqu'il part pour l'Afrique avec ses parents. Physicien, son père se retrouve du jour au lendemain professeur d'histoire et de géographie dans un petit village du Togo. C'est là-bas que Leloup apprend la musique. Ses compositions seront toujours un peu imprégnées de ces racines africaines. Il part ensuite pour l'Algérie qui le marque à jamais et qui contribue aussi à développer son imaginaire. De retour au Québec, il compose ses premières tounes à l'âge de 20 ans et commence à apprendre la guitare avec des chansons de Moustaki et de Le Forestier, mais aussi des Beatles, Deep Purple ou Led Zeppelin. A la fac, où il a étudie les Lettres il découvre plus en profondeur la chanson française, Renaud en particulier. La musique le passionne de plus en plus et en 1983 il se présente au plus important concours au pays, le fameux Festival de Gramby, qu'il gagne.

Il signe par la suite son premier contrat de disque chez Audiogram et y enregistre deux albums ("Menteurs" et "L'amour est sans pitié") qu'il range dans les erreurs de jeunesse et qui d'ailleurs ne sont pas comptabilisés dans sa discographie officielle. Le succès arrive en 1991 avec une chanson sur les événements du Golfe. La pièce s'appelle "1990" et se retrouve dans les palmarès autant au Québec qu'en Europe. La France est sous le charme et les prestations scéniques sont nombreuses. Un succès à long terme pointe à l'horizon mais Leloup en a marre. Déçu que les gens ne parlent que de sa belle gueule et pas de cette chanson contre la guerre. Il retourne chez lui et hormis une grande tournée québécoise en compagnie de France d'Amour et du groupe Vilain Pingouin, il se retire pendant cinq ans.

Il faudra attendre les FrancoFolies de Montréal en août 1996 pour le retrouver sur scène avec un nouveau groupe et un troisième album "Le Dôme" (Audiogram/East West) dans lequel il mélange le rock et le rap sur des rythmes aussi rapides que ses textes sont délirants. La compagnie de disque a compris depuis longtemps qu'il fallait lui laisser du lousse (du large, ndlr) et cela, en dépit de quelques mixes ratés, sur lesquels il pouvait travailler pendant trois jours en studio avant de s'apercevoir que la basse n'était pas bonne. Leloup coûte cher mais le résultat est là et "Les Fourmis" ne cesse de trouver preneurs.

Dans une salle survoltée, le carnassier aux dents longues donne à son public les hits qu'ils attendent et les succès s'enchaînent. Entre "1990" et La vie est l'aide" (le plus récent extrait de "Fourmis"), il glisse de nouvelles versions de "Isabelle", "Dr Jekyll et Mr Hyde", "L'antiquaire" ou "L'amour est sans pitié". Le gros trip de Leloup et de ses musiciens c'est de "jammer". L'improvisation est reine. "Jammer,c'est être là. Si on est sensible à l'extérieur, on va avoir la toune (chanson, ndlr) qui est exactement la toune de la place, au moment où on est là. Les Africains procèdent de même".

Son écriture est assise sur des bases assez simples, ce qui lui permet une plus large improvisation. Si la musique est très présente, il ne faut pas oublier les textes de Sieur Leloup, car ce dernier écrit beaucoup, écrit tout le temps, dix ou quinze pages par heure quand les choses vont bien. Pour comprendre son univers, il faut lire les textes du Loup-garou, comme celle du gars dont la main s'est transformée en langouste ou celle de cette fille que son boss ne daigne pas regarder lui rendant la vie laide dans ce monde où l'apparence a tellement d'importance ("la vie est laide"). Il a l'imaginaire aussi large que son célèbre sourire et ce n'est pas peu dire, car s'il ne parle quasiment pas sur scène (la conscientisation des foules, très peu pour lui), il sourit énormément sans doute parce qu'il est heureux et le public aussi. La scène devient d'ailleurs, au grand dam de la sécurité, un gigantesque plongeoir ou les fans les plus délurés se jettent dans la foule qui les transportent d'un bout à l'autre de la salle sur leurs mains. L'ambiance est celle d'un gigantesque "party" où tout le monde est venu pour avoir un fun (plaisir, ndlr) noir et tripper (s'éclater, ndlr) comme des malades. C'est le cirque et tout est permis. La magie de Leloup est aussi visible en observant son auditoire où jeunes et vieux, gens ordinaires ou étranges se côtoient avec un plaisir similaire et un besoin commun de se lâcher et de fuir un monde ennuyeux. Il n'y a plus de classe sociale, d'âges, de riches ou pauvres, c'est l'unité dans la diversité. Le monde imaginaire de Leloup ne perd rien de son efficacité en spectacle et la tournée qui se poursuit partout dans la province risque bien de réserver encore quelques grandes surprises à ses fans, car un show de Leloup est toujours une première, au gré de ses fantaisies.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 25 octobre 2000.
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