On appelle ça du rock
par Daniel Côté
dans Progrès-dimanche, 15 octobre 2006
Critique

Chicoutimi - Jerry Lee Lewis et Jean Leclerc ne font pas le même genre de musique, même si dans les deux cas on appelle ça du rock. Ils ont toutefois en partage de fortes individualités, ainsi qu'une manière d'être et de chanter qui n'appartient qu'à eux. À une ou deux générations de distance, le vétéran et celui qui se fait appeler Dead Wolf trouvent encore le moyen d'entretenir leur statut d'"outsiders", sans toutefois perdre de vue le succès commercial.

Sur le CD "Mexico", par exemple, le Québécois a tout fait, sauf les photographies. S'étant éloigné temporairement des ors et des pompes du show-business, il a créé des chansons souvent tristes, un brin sordides à l'occasion, sans toutefois générer l'ennui. Même sur la pièce titre, où il est question d'une femme qui veut refaire sa vie après avoir tué son conjoint, l'ironie du ton, autant que le beat sautillant, rendent la sauce digeste.

Tel un arbre qui ne donnera jamais autre chose que des pommes, Jean Leclerc a le don de pondre des mélodies accrocheuses. C'est ce que fait entendre "Le malheur", une composition portée par la basse et sur laquelle, en filigrane, on entend une guitare aussi nerveuse que maigrelette. Un autre exemple est fourni par "Tangerine", marquée par une intro calquée sur le "Walk On The Wild Side" de Lou Reed. On pense à Gainsbourg en écoutant cette sombre chanson livrée sur un ton léger.

En revanche, "Les amours mortes" n'évoquent personne d'autre que Jean Leclerc. "Je crois bien faire une dépression", confie-t-il d'une voix douce, accompagné par un peu de guitare acoustique. Même teintée d'ironie, cette fragilité qui le caractérise depuis le début de sa carrière rend d'autant plus précieux des disques comme "Mexico", le premier de l'ère post-Leloup. Quand il est inspiré comme c'est le cas cette fois-ci, cet artiste est irremplaçable.

Résurrection

Pour assurer la transition avec Jerry Lee Lewis, évoquons "No Money No Home", la composition qui ferme "Mexico". Il s'agit d'un instrumental dont la facture peut être considérée comme moderne si on l'associe à des expériences commes celles que mène le groupe suisse Stereophonic Space Sound Unlimited, obscur, mais néanmoins brillant. D'autres lui ont cependant trouvé une parenté avec les Ventures, ce qui nous ramène à l'âge d'or du Killer, il y a près d'un demi-siècle.

Pour réussir son retour sur le devant de la scène, l'ex-protégé de Sam Phillips chez Sun Records a enregistré 21 duos avec de grosses pointures. Le titre du CD, "Last Man Standing", fait d'ailleurs allusion à sa pérennité, lui qui est le dernier survivant de la prestigieuse étiquette établie à Memphis. Tous les autres protégés, d'Elvis Presley à Carl Perkins, en passant par Roy Orbison et Johnny Cash, ont en effet passé l'arme à gauche.

On aurait pu s'attendre au pire, mais d'entrée de jeu, Jerry Lee Lewis montre qu'il a gardé la forme en reprenant le "Rock'n Roll" de Led Zeppelin avec - qui d'autre? - Jimmy Page à la guitare. Ça sonne gros comme le stade olympique et c'est bien agréable, même si on reconnaît à peine l'oeuvre originale. Le blues prend ensuite le relais avec la complicité de BB King, sur "Before The Night Is Over", et une fois de plus, la magie opère.

Le Killer a apprécié la formule et ça s'entend, en particulier sur "Evening Gown", une composition de Mick Jagger avec lequel il engage un dialogue savoureux pendant que Ron Wood - un autre Rolling Stone - confère à sa guitare de charmants accents country.

Sur le même registre, le duo avec Rod Stewart, qui accompagne le Lousianais avec humour sur "What Made Milwaukee Famous", montre que les vieux loups savent encore s'amuser.

La liste des invités comprend également Eric Clapton, John Fogerty, Ringo Starr et Neil Young, mais tous les rendez-vous ne répondent pas aux attentes. Celui avec Bruce Springsteen, entre autres, permet d'entendre une excellente version de "Pink Cadillac", sauf que la voix du Boss est inaudible. Ce serait Wilfred qu'on n'y verrait que du feu. On aurait aussi aimé que Lewis reprenne ses succès à lui, "Great Balls Of Fire" et "A Whole Lotta Shakin' Going' On". Peut-être la prochaine fois?
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Dernière mise à jour le 19 octobre 2006.
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