Retour aux sources: Jean Leloup retrouve au Togo les rythmes qui ont bercé son enfance
par Michèle Laferrière
dans Le Soleil, 27 novembre 1998
Entrevue

Au cours de la dernière année, Jean Leloup a passé quelques semaines au Togo, le pays où il a grandi. Là-bas, il a découvert qu'il était un «gars de party, pas un twit de chansonnier québécois».

Leloup est un drôle de moineau. Il a des opinions tranchées sur une foule de sujets et de gens. Bien malin celui qui tentera de lui mettre un baîllon. Les chansonniers ont récolté leur part de propos acerbes, ainsi que les photographes de presse. Cette journée-là, Jean Leloup arborait un feu sauvage plutôt inesthétique. Il aurait pu se contenter d'invoquer ce bobo pour refuser d'être photographié. Mais il a cru nécessaire de se lancer dans une diatribe contre ces messieurs toujours pressés, payés pour lui tirer le portrait et faire de lui un Robert Redford sur papier journal. Mais Jean Leloup ne se trouve jamais beau et il en a marre. Comme il a raison de chanter que «le monde est à pleurer».

En entrevue, Leloup a beaucoup parlé de son voyage en Afrique. À l'entendre, ça «groove» là-bas comme nulle part ailleurs sur la planète. Tous les publics veulent «groover». Pour faire triper les gens, il faut donc leur donner ce qu'ils désirent. Voilà résumée la pensée de Leloup. Pourquoi, alors, leur avoir servi une série de nouvelles chansons, dans son spectacle à l'Esplanade du Parlement, lors du dernier Festival d'été, alors qu'ils voulaient ses vieux hits? Impossible de forcer Jean Leloup jusque dans ses derniers retranchements! Il répond à l'attaque par l'attaque. «L'Esplanade du Parlement? Ça ressemble à une arène où les Nazis parquaient les Juifs!, répond-il. C'est pas mon genre d'endroit. Le «stage» est beaucoup trop gros. Me retrouver là m'a donné l'envie de ne pas jouer J'ai donné un show pourri.» Une arène pour parquer les Juifs? «Oui, écris-le! Mais mets ça dans le contexte nazi!» Et dire qu'on se demandait pourquoi la Commission de la capitale nationale retapait l'endroit!

Voyage au Togo

Au Togo, Jean Leloup n'a rencontré que des gens gentils. Il a retrouvé les trois hommes qui les ont pratiquement élevés, lui et son frère aîné, Grégoire. C'est une jolie histoire. La voici! Le père de Jean Leloup a été muté dans le village de Palimé, au Togo, alors que ses deux fils étaient gamins. «Il a été le premier professeur blanc du Togo», relate Leloup. Dans ce petit village, il aurait été fort mal vu que des gens aussi à l'aise que les Leclerc (le vrai nom de Leloup) n'embauchent aucun domestique. Grand-Jean est devenu leur gardien, Coucou, leur cuisinier, et Charles, l'homme à tout faire à la voix de fausset.

Jean avait une dizaine d'années quand la famille Leclerc a quitté le Togo. «Ces trois hommes étaient comme mes parents, dit-il. Mais dès que nous sommes partis, on dirait que je les ai oubliés.» Cette année, il a ressenti l'urgence de les retrouver. Avec pour seule compagne sa guitare acoustique, Leloup a mis le cap sur Lomé, la capitale. Manque de pot: la ville était paralysée par une panne de courant depuis deux mois. Mais les guitares acoustiques ne nécessitent ni ampli ni fil pour résonner. Leloup a sorti la sienne, il s'est installé sur le coin d'une rue et, soir après soir, a inventé des «tounes qui groovent. Très vite, il a repris contact avec le peuple de son enfance et retrouvé ce rythme qui fait balancer les hanches.

À Palimé, il a repéré la maison où il avait été élevé. Elle avait été transformée en hôtel. Il y a réservé une chambre, avant de se mettre à la recherche des trois hommes qui ont jadis fait partie de sa famille. Ils n'avaient pas bougé du village. Charles avait toujours sa voix haut perchée. Coucou, 95 ans, s'était installé dans la montagne; il est tombé malade pendant le séjour de Leloup et il est peut-être mort à l'heure qu'il est. Et la mère de Grand-Jean est décédée pendant la même période. Ce dernier l'a invité à dans sa maison sans électricité ni eau courante. «J'ai mangé du manioc avec mes mains, raconte Leloup. C'était comme si je n'avais jamais quitté cet endroit.»

«Que ça groove bien»

«Ce voyage a été un test pour mes chansons, poursuit-il. Il m'a fait renier la moitié de mon album Le Dôme.» Trop intellectuel, trop ballade, trop larmoyant. «Je suis un gars de party, moi, pas un twit de chansonnier québécois. Je me suis dit que pour mon prochain disque, je prendrais ça simple et que je n'aurais qu'une direction: que ca groove bien!»

En passant, Leloup vient de lancer un album, Les Fourmis . C'est pour en parler qu'il est venu à Québec et qu'il a fait tous ces détours par l'Afrique. Il a passé une semaine en studio avec ses musiciens et l'a enregistré «live». Il l'a ensuite retouché légèrement, en ajoutant un peu de guitare ici, un peu de voix là, mais en gardant l'esprit du «live» qui «permet de mieux communiquer». Il a aussi inclu trois chansons enregistrées l'an passé au D'Auteuil, Cookie, Faire des enfants et La Chambre. «Je ne serai pas gêné de l'envoyer au Togo, celui-là!, conclut-il. Y'a pas de tapochage, pas de larmoyage, juste de l'imaginaire pour transporter les gens, et du rythme pour les faire groover.»

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Dernière mise à jour le 1 novembre 2001.
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