Que le vrai Jean Leloup se lève!
par Michèle Laferrière
dans Le Soleil, 26 octobre 1996
Entrevue

S'agit-il d'un crâneur? D'un pur créateur? Ou d'un éternel insatisfait?

Que le vrai Jean Leloup se lève! Est-ce le crâneur, qui lance à la cantonade : «Ne nous dérangez pas, on s'en va niquer dans la salle de conférence!»? Est-ce le pur créateur, qui parle de la «douleur et de l'indécence» de l'écriture? Est-ce le perfectionniste, qui a «tété sans bon sens» pour aboutir à ces «tounes imparfaites», ou l'artiste fébrile toujours «à la poursuite de la chanson suivante»?

Impossible de cerner Jean Leloup en une heure. On peut tenter de le décrire par la négative : il n'est ni sale, ni bête, ni menteur. Bien sûr, il porte un jean et un tee-shirt tout déformés, il ne saute pas de joie à l'idée d'accorder une entrevue, mais il se révèle d'une franchise étonnante.

«Si j'avais eu le choix, jamais je n'aurais fait de disque, balance-t-il. Mais dans la vie, il faut que tu travailles. Moi, je me contenterais de composer et de "jammer" avec les gars. Je rêve de pouvoir chanter juste quand j'en ai envie.»

Finalement, s'il fallait décrire Jean Leloup en un mot, c'est créateur qui s'impose. Il n'hésite pas à parler de la «grande joie de créer». Mais tout de suite il nuance : «Quand ton loyer en dépend, ça devient une douleur. C'en est indécent.»

Ce frêle excentrique a roulé pendant cinq ans avec son dernier album, L'amour est sans pitié, et une tournée de spectacles qui l'a complètement vidé. «"Toffer" cinq ans avec la même job, c'est de l'héroïsme», affirme-t-il. Combien de fois pendant l'entrevue répétera-t-il qu'il est «tanné». Tanné «de la job publique», de l'intérêt qu'on porte à sa face, de chanter et d'être le centre d'attention de tout le monde. «Les applaudissements me gênent», confie-t-il avec une candeur déconcertante.

Il s'est donc imposé une pause de près de cinq ans, interrompue par une série de spectacles en compagnie de France D'Amour et des Vilains Pingouins, en 1993.

Et qu'a-t-il fait pendant tous ces mois? «Je suis parti dans un délire de création, répond-il. J'ai composé, composé, composé. Encore aujourd'hui, j'ai des tounes pour deux autres albums.» À un moment il déclarera qu'il écrit une chanson en cinq minutes et que «l'inspiration vient toute seule» ; à un autre, il dira qu'il s'est «donné de la misère», qu'il ne connaissait rien et qu'il a tout voulu faire lui-même. Jean Leloup n'a pas besoin de se mettre en état de composer. Dès qu'il a une guitare sous le bras ou un studio sous la main, il en profite.

«J'ai tété, ça n'a pas de bon sens, admet-il. J'avais un téteux en moi. J'arrivais en studio et j'étais toujours à la poursuite de la chanson suivante. J'avais l'impression que ça ne finirait jamais.» Résultat? Un million de chansons, sur un millier de cassettes.

Dans un monde idéal, il aurait réalisé un album double. Certaines chansons se sont imposées, d'autres ont demandé réflexion et consensus. «Rendu au choix, je m'en câlisse, lâche-t-il. Je m'ôte toute responsabilité.» Non, non, il n'est pas du tout gêné de ce troisième album, intitulé Le Dôme. Il dit même qu'il n'aurait pu faire mieux et qu'il a atteint son but en composant «quelques bonnes tounes». Il y en six dont il est vraiment satisfait, «six tounes shot». L'une d'elles, I Lost my Baby, tourne à la radio depuis quelques semaines. «Y'a du monde ben fier dans la région d'Ottawa, j'ai voulu en parler», explique-t-il. Et elle se prête très bien, paraît-il, à un spectacle tout en guitares.

Faire des enfants, un autre de ses préférées, fait état de ses inquiétudes face à la société actuelle. «C'est stressé aujourd'hui, constate-t-il. Le monde travaille en criss juste pour se payer une auto et un logement. À part la tévé, qu'est-ce que le monde a pour se distraire? Moi, j'ai mangé aujourd'hui, donc je ne suis pas pauvre. Mais y'en a qui me considéreraient comme un pauvre.» Oui, la guerre, la pollution et la misère affectent un gars aussi faussement détaché que Jean Leloup. «Mes chansons sont comme des drôles de rêves, laisse-t-il tomber. Des fois, je ne les comprends pas moi-même, même s'il y a ben des ««je'».»

Aujourd'hui, à 35 ans, il n'a plus «l'instinct de la perfection». Si bien que pour son prochain album, il s'entourera d'un groupe de musiciens stables avec lesquels il enregistrera ses chansons au fur et à mesure. Ainsi, il ne se rendra plus malade à choisir ses musiciens et «à vouloir transcender la patente», lire: révolutionner le processus créatif.

Jean Leloup est «tanné» de travailler. Il veut jouer maintenant. «Le show va être écoeurant, conclut-il. Je sais où je m'en vais.» Quel plaisir il prendra à redonner vie à des chansons, figées sur son album comme des paysages sur des photos! Le Dôme sera en magasin jeudi.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 7 août 2000.
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