Leloup, recommencer
par Valérie Lesage
dans Le Soleil, 25 avril 2009
Entrevue

(Québec) Cette entrevue ne devait pas avoir lieu. Jean Leloup a d'abord refusé net de me rencontrer pour parler de Mille excuses milady, son nouveau disque, sans doute ébranlé par ma critique de son spectacle au Colisée en août dernier - elle était virulente. Mais le roi Ponpon s'est ravisé peu après.

Un rendez-vous a été fixé la semaine dernière à Montréal, et Jean Leloup a affiché un sourire quand je suis arrivée.

«J'imagine que me rencontrer, c'est pas le meilleur moment de ta vie», je lui ai lancé, nerveuse.

«Ça va, y a pas de problème», il a répondu, ajoutant avec des yeux vulnérables qu'il ne mordait pas fort.

- Ouais, mais t'as d'abord refusé de me voir...

- Mais non, pas du tout. Je suis pas là-dedans», il a dit, prenant un air inébranlable.

Plusieurs fois pendant l'heure et demie qui a suivi, Leloup est revenu sur le spectacle du Colisée, pendant lequel il avait copieusement insulté son public. La polémique d'après-spectacle semble l'avoir ébranlé plus qu'il ne veut bien le montrer maintenant.

«C'est pas tant ton texte que le fait que ça s'arrêtait pas... Mais ça n'a pas été une grosse affaire dans ma vie. Des shows où j'ai engueulé le monde, c'est arrivé souvent. Des articles bons et mauvais, ça m'est arrivé souvent. Je suis très frette par rapport à ça.»

L'origine de la rime

Quelques chansons semblent pourtant marquées par le show maudit du retour de Leloup. Dans Old Lady Wolf, une chanson pleine de colère, il reprend deux lignes de la chanson jouée à l'émission de Christiane Charette, où il était venu répondre aux critiques.

«Désolé de ne pas avoir été à la hauteur de tes attentes, matante», puis il ajoute : «Ta gueule, Johnny Guitar, ta gueule/Tu finiras tout seul/Écrasé sous la meute». Le reste de la chanson parle des maringouins qui lui sucent le sang et qui lui font moins mal «que toi, sangsue qui me suce le jus» ou encore de limace qui devrait se cacher la face. «Ta compassion est un roman-savon/Corneille tu croasses tout autour/Ton manque d'amour et tes calomnies à deux piasses et demi/On s'en torche le fion/T'es rien que le pion d'un système de cons...»

Pas de lien avec le show, dira Jean Leloup... Même la rime de la matante? «Je la trouvais bonne, c'est tout.»

Pourtant, d'autres chansons du disque semblent traversées par les suites du pow-wow au Colisée. Dans Célérats, le personnage tombe, se fait écraser par d'autres qui triomphent et qui sont fiers d'être rats. Leur victime, incapable de mordre un pauvre raton, est complexée jusque dans l'atmosphère. Dans Recommencer, Leloup chante qu'il dirait bonsoir à tous ses amis et s'en irait à l'infini. «Mais je préfère tout recommencer/Faut-il tant aimer pleurer?/J'ai couru la ville du sud au nord/Il y a ceux que j'aime et que j'adore/Ils attendaient tout et rien n'est venu...»

Leloup dira de la douloureuse Recommencer qu'elle a été inspirée par des histoires d'amour qui ne durent pas et de Célérats que c'est une sorte de fable de La Fontaine, un tableau des humains qui visent le sommet et se battent pour un statut social.

«Moi, je tombe tellement au fond que je suis sale et les extraterrestres ne veulent même pas me manger. Ça fait

15 ans que j'ai fait cette chanson et je ne trouvais pas la fin. Là, j'ai eu l'idée des extraterrestres.»

Jean Leloup dit qu'il avait un peu oublié ce qu'était la discussion avec les médias. Il donne l'exemple de pays africains où un chanteur peut engueuler son public sans que ça crée de polémique. Ici, c'est plus poli, reconnaît-il avant d'ajouter que son lien avec la vie publique est compliqué.

«Ça prend des proportions... C'est dur à porter. Si tu te trompes de mot pendant que tu parles, tu vis les conséquences tout le temps. Je n'ai jamais voulu être aussi public que ça. Quelqu'un m'a déjà dit que j'étais une institution au Québec, tu te rends compte?! J'aimerais mieux être riche à la place!... C'est pas évident. Ça ne va pas avec ma modestie.»

- Tu ne projettes pas exactement une image de modestie...

- C'est parce que je front, répond-il un peu étonné. Ça a toujours été compliqué. Parfois j'assume, parfois pas.

Ce que Jean Leloup semble détester par-dessus tout, c'est que, comme des «mémères de village», des gens qui n'ont pas vu un spectacle ou écouté ses disques se mettent à en parler et à tenter d'analyser son cerveau.

Le Colisée et le tiers-monde

Il revient sur le spectacle du Colisée, même quand on essaie de parler du nouveau disque. Il sait qu'il a parfois été bon et parfois pas. Mais il se désole toujours du fait que l'on ait pu s'être senti aussi insulté par ses propos.

«Il n'y a pas cette sensibilité exacerbée dans le tiers-monde parce qu'ils sont plus habitués de souffrir.»

Les idées sautillantes de Leloup le transportent alors en Chine. Il entrevoit une grosse crise mondiale parce que les Chinois, et les autres, «ça leur tente plus de torcher le cul des riches».

«J'essaie de rendre service en disant certaines vérités. Je ne le dis pas nécessairement de la bonne façon, mais il y a une certaine vérité. Ça n'enlève pas les qualités intrinsèques des gens, mais ils ne sont plus conscients de ce qui se passe dans le monde parce qu'ils sont trop occupés à consommer.»

Le lien entre le tiers-monde et ses sautes d'humeur au Colisée?

«Les gens d'ici sont tellement bien massés par le tiers-monde qu'il sont devenus mous comme de la guenille. Ça tape dans le beat dans le tiers-monde parce qu'ils ont envie d'avoir du vrai fun. C'est la différence entre faire l'amour et éjaculer précocement.»

Si je comprends bien, Leloup a dérapé parce qu'une partie de son public était off beat. Il me fait vivre l'expérience à échelle réduite. Il me fait taper un beat sur la table du café et, au même moment, avec ses deux mains, il en produit un autre qui détraque tout parce qu'il ne respecte pas les temps.

«C'est la différence entre deux personnes qui dansent et deux qui se tapent dessus.»

Quand il parle du spectacle, Leloup semble toujours préoccupé. La lumière éclaire son regard seulement quand il plonge dans l'idée de la musique. Une chanson, pour lui, il faut que ce soit lumineux en une seconde. Un bonheur simple et instantané. Il est fier d'une petite nouvelle, Les moments parfaits.

«Elle est sortie d'un coup sec. Juste avant, j'écoutais Nina Simone. Elle chante avec la musique comme si elle marchait avec. Chaque phrase qu'elle chante, on voit tout en même temps qu'elle. J'ai essayé de faire ça. Mais elle, c'est une grande. Je suis en admiration. Chaque phrase pèse 12 tonnes. C'est comme instantané et éternel. Je n'y arriverai jamais.»
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Dernière mise à jour le 26 avril 2009.
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