«J’ai bien agi, j’ai bien agi, j’ai bien agi»
par Nicolas Houle
dans Le Soleil, 20 septembre 2008
Critique

Alors, avez-vous pardonné les écarts de conduite de Jean Leloup au Colisée? Bien sûr que oui. On n’aime pas être fâché avec nos artistes. Du moins pas trop longtemps. Et puis Jean a offert des excuses avec la spontanéité et le côté brouillon qu’on aime chez lui. Cette fois, il pourra dire : «J’ai bien agi, j’ai bien agi, j’ai bien agi»!

Leloup avait-il vraiment le choix de s’excuser? Pas sûr. La candidate du Parti conservateur dans Québec, Myriam Taschereau, a beau croire que les artistes du pays sont gâtés avec leur salaire annuel moyen de 23 500 $, rares sont les créateurs qui peuvent se permettre d’avoir le public à dos. Surtout dans la Belle Province où, en 2004, la moitié des artistes gagnait moins de 20 000$ par année. Pas question, donc, de se passer des fans. Même si on s’appelle Jean Leloup. Car ne l’oublions pas, Leloup s’apprête à sortir à la fois un album et un film cette saison. Comme n’importe lequel de ses pairs, notre homme aspire à un succès critique et populaire. Aux deniers qui s’ensuivent, aussi. Mais ça, ça paraît mal de le dire...

Ça nous dérange que le rêve soit marchandé avec des préoccupations terre à terre comme l’argent. En effet, il y a là une espèce de tabou. On préfère vivre avec l’image romantique du créateur qui œuvre sans faire de concessions, qui trace sa voie en marge des chemins conventionnels et qui, parti de rien, connaît la gloire. On vante ces entêtés qui vont au bout de leurs passions en nous faisant réfléchir. Gare à eux, toutefois, s’ils sombrent dans la facilité ou s’ils osent vendre leur âme au plus offrant. Dès lors, on est prêts à les lyncher, puisque c’est à travers eux qu’on réalise nos ambitions refoulées.

Il n’en demeure pas moins que l’art est une roue et pour qu’elle tourne et rapporte des sous, il faut aussi être prêt à y injecter des fonds. Curieusement, comme par miracle, quand la magie naît d’une performance, personne ne trouve à s’indigner de l’aspect comptable : des millions pour McCartney? Cool! Des millions pour le Moulin à images? Ramenons-le!

Un artiste québécois qui devrait pouvoir mettre plus de confiture sur ses toasts, c’est Benoît David. Vous connaissez? Il chante dans un groupe hommage à Yes. Le Montréalais a été recruté par ses idoles pour remplacer Jon Anderson. Calife à la place du calife, le Benoît. On s’en souviendra, pépé Anderson, victime de violentes crises d’asthme, avait dû annuler la tournée 40e anniversaire de Yes, qui devait démarrer à Québec.

Qu’est-ce qui peut bien motiver ces vétérans à donner forme à leur 92e ou 152e incarnation avec une copie d’Anderson? Des obligations bassement contractuelles, ai-je conclu. Mais Jean Beauchesne, directeur de la programmation au Festival d’été, et le producteur Michel Brazeau m’ont persuadé du contraire. Ce doit donc être l’idée toute simple de faire sonner le tiroir-caisse. Pourtant, Beauchesne et Brazeau s’entendent pour dire que l’aventure risque de ne pas être très payante. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne serait intéressé à programmer le band.

«Pour beaucoup de ces artistes-là, être acclamé, c’est une drogue, un rush d’adrénaline dont ils ne peuvent plus se passer», observe Michel Brazeau. Une visite sur les forums de discussions dans Internet a de quoi étonner : plusieurs fans s’emballent à l’idée de revoir Yes sur scène reprendre ses vieilles tounes, même avec un imitateur.

En somme, qu’importe si l’aventure a des airs pathétiques, tant que le lien avec les fans est fort et que vous savez encore les faire rêver, vous pouvez aller loin et les faire fouiller dans leur portefeuille. C’est lorsque vous rompez la magie que vous risquez le naufrage. Voilà la leçon que Jean Leloup a apprise. Reste maintenant à voir s’il aura droit à son spectacle de la deuxième chance...
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Dernière mise à jour le 24 septembre 2008.
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