Bye-bye Leloup, bonjour Leclerc
par Kathleen Lavoie
dans Le Soleil, 11 octobre 2003
Entrevue

« LE SOLEIL est le premier à le savoir : j'ai décidé de mourir. Jean Leloup, c'est fini ! » a fait savoir l'artiste jeudi.

C'est non sans créer un certain émoi que l'auteur-compositeur-interprète le plus important de la dernière décennie au Québec, Jean Leloup, a annoncé « au quotidien de son enfance » son suicide musical. Quinze ans après ses débuts dans le fabuleux monde de la pop, le plus original de nos artistes prétend en avoir assez. Leloup, l'énergumène « rock'n'roll », n'a plus sa raison d'être.

« C'est fini, le personnage. Quand Jean Leloup va revenir, il sera Jean Leclerc », a déclaré l'homme du jour, d'un petit café montréalais.

Plus qu'un caprice de vedette, donc, sa décision de se retirer du monde du spectacle vient d'abord d'un sentiment de finalité. À ses yeux, le spectacle de son big band, créé cet été aux FrancoFolies de Montréal et présenté au Capitole du 22 au 25 octobre, constitue son meilleur. Quant à son prochain projet, un CD « techno-funk » accompagné du DVD Noir Destin que le mien, « produit dérivé » d'un roman en préparation depuis plusieurs années, Le Tour du monde en complet, il sera son dernier testament.

« Avec le DVD, je viens de faire mon ultime solo rock'n'roll. J'ai rien fait de mieux. J'ai travaillé avec des membres de Bran Van. Là-dessus, il y a une chanson que j'avais commencée avec James (Di Salvio) il y a un bout de temps. En fait, c'est une musique avec un conte dessus. C'est l'histoire d'un vendeur d'assurances qui fait une dépression et qui finit empereur dans une tribu primitive », raconte le grand Jean dans son style habituellement décousu.

Sa dernière création, Jean Leloup y planche depuis près de trois mois et espère pouvoir la rendre publique le 1er décembre. Avec l'aide de proches collaborateurs, dont l'équipe qui a participé à la conception du vidéo de La Vallée des réputations, chanson-titre de son dernier album, l'artiste a créé une sortie de scène inoubliable pour sa première incarnation artistique.

« On a loué un édifice de trois étages. J'ai fait le disque avec mon argent et un computer. Tout le budget qui devait aller au disque, je l'ai utilisé pour louer l'édifice de trois étages. On avait un gros décor. C'est un film qui ressemble à Charlie Chaplin. Moi, j'ai une coiffure de James Bond et je suis vêtu en complet. Quand j'arrive dans la tribu primitive, ce sont des femmes à barbe qui sont là. C'est une grosse joke ! », s'esclaffe-t-il, à l'autre bout du fil.

Plus sérieusement, Jean Leloup résume la trame de Noir Destin que le mien comme étant « une allégorie, un conte bien moqueur, une satire du genre humain ». « Ça parle du vedettariat », laisse-t-il tomber.

Avec un intéressant budget et un concept aux possibilités illimitées, ce DVD représente la quintessence de Leloup, jure Jean.

« Je viens de battre le Rocky Horror Picture Show ! Mon vidéo a coûté 150 000 $ et j'ai les cheveux en banane ! Moi, je ne peux pas aller plus loin que ça. Sérieusement. C'est aussi pour ça que j'ai monté le big band. Je fais enfin les tounes comme je voulais les faire. Parce que j'ai le budget. »

À ceux qui douteraient de la fermeté de sa résolution de tout quitter, Jean Leloup affirme qu'il a décidé de refuser tout engagement après le mois de décembre. Ni ses cinq nominations au prochain gala de l'ADISQ ni les pressions du milieu n'y changeront quoi que ce soit.

« Je ne sais pas si je vais refaire de la musique, laisse-t-il entendre. Ça fait 15 ans que je fais ça. J'ai tout fait. Si je reviens, ce sera aux cinq ans, comme une apparition divine... »

Dans quel contexte peut-on s'attendre à ce que le spectre de Leloup ressorte de la garde-robe ? Le principal intéressé ne sait pas encore. Ce dont il est toutefois certain, c'est que le futur de Jean Leclerc, lui, se jouera dans l'écriture.

Il est vrai que l'artiste n'a jamais caché sa passion pour cet art pour lequel il estime « commencer à être bon ». Ainsi, si son plan fonctionne, son nom devrait se retrouver bientôt sur quelques quatrièmes de couverture ou quelques génériques de films...

« Mais peut-être que je n'y arriverai pas..., s'inquiète-t-il à haute voix. Comme ça a toujours été difficile pour moi de dealer avec le monde de la business, je ne sais pas ce qui m'attend... »

Pour l'instant, Jean Leloup est beaucoup plus préoccupé par le fait d'enterrer celui qui, pendant 15 ans, aura servi de véhicule à sa musique.

« La fin de Jean Leloup sera une mort subite. Ensuite, il ne sera plus qu'un être mystérieux et dispersé. Le rock'n'roll, c'est ça: la fin dans la mort. Moi, j'ai filmé la mienne en direct. Après, on n'aura plus la chance de revoir Jean Leloup. »

Le musicien nous rassure tout de suite: on ne le retrouvera pas pour autant en campagne à élever des moutons...

« À moins que ce soit une campagne russe ! Faut quand même que ce soit héroïque ! Je ne peux pas aller plus loin que ce que j'ai déjà fait », marque-t-il à nouveau.

À l'inverse, Jean Leloup croit qu'il a tout à prouver dans les domaines du roman et du cinéma. Il aime d'ailleurs particulièrement l'esprit de collectivité du dernier.

« Personnellement, je marche comme au théâtre. J'écris une histoire et ensuite je la donne aux gens pour qu'ils s'amusent sur mes affaires. Parce que réaliser, c'est une drôle d'affaire. J'aime mieux le concept de metteur en scène que celui de réalisateur. Le problème du milieu, c'est qu'il n'accorde de l'importance qu'à ça. Parce qu'il y a un star system autour des réalisateurs. Moi, je pense que tout le monde a de l'importance. Il faut que ce soit une affaire de collectif... »

D'où le spectacle du big band, qui arrive comme une tempête, après le doux temps de La vallée des réputations...

« Le big band, ça varge, soutient-il. J'ai enfin la section rythmique d'Africains que j'ai toujours voulue. Quand ça roule, ça pogne en sacrament ! C'est un ostie de band ! » n'a-t-il pu s'empêcher.

Les détenteurs de billets pour cette série de spectacles ont donc avantage à conserver leurs précieux rectangles orangés... Qui sait ? Ils deviendront peut-être des objets de collection courus au cours de la deuxième vie du mythique M. Leloup.

Ce dernier, visiblement ravi par sa décision, s'amuse déjà de la prochaine affectation qu'il se donnera... « Je vais inventer un autre personnage, même si jouer un personnage, ça ne me tente pas tout le temps. Mais je savais qu'avant de passer à autre chose, il fallait que j'aboutisse Leloup, par exemple. Là, c'est grandiose. »

Grandiose ? Vraiment ? « Je suis Mohammed Ali: j'ai besoin de me vanter. » Et le voilà reparti...

Photo: PC. Plus qu'un caprice de vedette, sa décision de se retirer du monde du spectacle vient d'abord d'un sentiment de finalité.
Cet article contient aussi une image: [1]
page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 13 octobre 2003.
http://news.lecastel.org
Conception: SD