Retour sur scène après cinq ans d'absence, Leloup qu'il nous faut
par Rémy Charest
dans Le Devoir, 8 juin 1996
Article

Après deux ou trois chansons, vendredi soir dernier, au D'Auteuil, je me demandais un peu ce qui se passait. À vrai dire, peut-être que Jean Leloup, avec sa chemise hawaïenne et sa coiffure de petite fille, se demandais aussi un peu ce qui se passait, lui qui revient sur scène après cinq ans d'absence quasi totale.

La foule, heureuse comme c'est pas permis de retrouver le plus singulier des rockeurs québécois, était déjà déchaînée. Grâce à l'élimination de toutes les chaises et tables du bar, on se livrait allègrement au «crowd surfing». Tout ça après un début de spectacle en point d'interrogation, où Leloup et sa bande venaient de souffler Alger à toute vitesse, de faire passer Nathalie de son rock d'origine à reggae approximatif dans ce qui ressemblait un peu à une entreprise de table rase, de démolition du passé.

Car Jean Leloup n'a jamais été fort sur le passé. Starmania: après y avoir chanté, iln'y voyait qu'une erreur. Son premier disque, Menteur?: les producteurs l'avaient emmerdé et le résultat était, selon lui, minable. Et voilà qu'il passait ses anciennes chansons à la moulinette, juste avant d'attaquer de nouveaux morceaux qui prennent des directions que le rock québécois n'est jamais sérieusement allé explorer.

Si l'on peut comparer le Leloup d'aujourd'hui à quelque chose, ce serait d'abord aux brillants Stone Roses ou aux anciens Charlatans UK et à d'autres rockeurs britanniques aux musiques à la fois paresseuses et irrésistibles. L'auteur de Printemps été fait toujours des auts de style qui lui donnent des airs de Mano Negra québécoise. Mais la plupart du temps, les morceaux sont forts en guitares, travaillés à partir de riffs et de grooves qui tiennent la route pour plusieurs minutes, marquant à peine le refrain, cherchant plutôt une sorte de mouvement d'ensemble pour porter des histoires étranges et, à première vue, un peu plus sombres qu'autrefois.

La précision n'est pas toujours au rendez-vous, en partie à cause du rodage, mais aussi à cause d'une volonté de faire les choses seulement comme elles viennent. Hop, la chanson commence. Tiens, elle est finie. Et advienne que pourra.

Ce que nous offre Jean Leloup à ce moment-ci n'est certainement pas le plus accompli des spectacles, ni le plus virtuose. Mais il a de la personnalité, du chien et de la capacité de tenir une salle en haleine pendant deux heures et demie, entracte non compris, au point que les gens, vendredi soir, en auraient pris encore une bonne demi-heure. Au pays des Lara Fabian et des Beau Dommage de retour, on s'ennuyait beaucoup de la sale liberté d'un Jean Leloup. Voilà pourquoi il fait si bon entendre le rock «déjanté» et parfois approximatif qu'il nous offre aujourd'hui: une musique qui, pour une rare fois, est à l'heure de ce qui se passe ailleurs dans le monde, tout en sachant garder ses accents bien particuliers.

Où est-ce que tout cela nous mènera? Avec Jean Leloup de retour, la seule chose qui soit sûre (et la seule qui compte, au fond), c'est qu'on ne s'ennuiera pas une seconde.

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Dernière mise à jour le 31 juillet 2000.
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