Le dernier coup de gueule de Jean Leloup: Les vedettes du gala de l'ADISQ en prennent pour leur rhume
par Stéphane Baillargeon
dans Le Devoir, 28 octobre 2003
Entrevue

Avant de redevenir Jean Leclerc, Jean Leloup, qui a la dent longue, ne se gêne pas pour mordre tout ce qui passe à sa portée, à commencer par les vedettes du gala de l'ADISQ...

C'est une des plus grandes vedettes de la chanson québécoise de ce dernier quart de siècle, et pourtant il a boudé le 25e gala de l'ADISQ, dimanche soir. Ses pairs ont beau l'avoir encore consacré, en lui remettant cette fois le prix de l'album rock de l'année, pour La Vallée des réputations, il n'en a franchement plus rien à cirer de ce milieu sur lequel il déverse son fiel à grand baril.

«Le milieu de la chanson est peuplé d'arriérés mentaux et de deux de pique», dit la mégastar après une petite heure d'entrevue, réalisée hier après-midi, dans un café de Montréal. J'imagine que tous les milieux sont sur ce modèle. Dans le milieu de la mode, sérieusement, il y a des lapins qui se font passer pour des humains. Moi, je peux parler du monde de la musique puisque c'est le mien. J'y appartiens. J'y ai connu le succès. Maintenant, j'ai autre chose à faire que d'aller m'asseoir dans une place avec des niochons pour recevoir des prix auxquels je ne crois pas avec l'air d'y croire. J'ai mieux à faire que de rencontrer des producteurs niochons, de leur proposer des chansons idiotes et d'aller travailler avec des deux de pique pour accoucher d'un album plate.»

Cohérent avec lui-même, Jean Leloup répète à l'envi qu'il se retire donc de ce milieu pourri. Jean Leloup, son alter ego, ne verra pas 2004. Jean Leclerc - c'est le vrai nom de cet artiste de 42 ans - prendra ensuite la relève. Les détails de la mort du célébrissime auteur-compositeur-interprète-showman, misanthrope à ses heures, seront annoncés ultérieurement. Le décès devrait se produire après l'ultime spectacle prévu le 19 décembre.

«Ça va être une mort rare et enviable, dit le mourant, volontairement mystérieux. Jean Leloup va rejoindre Elvis sur son île, à Bananasplitville. Il faut finir les choses, et c'est bien de vivre par cycle. J'ai donné naissance à un personnage il y a quinze ans, et je lui ai donné ce nom de Leloup. Il faut bien qu'il meure maintenant que j'ai décidé de passer à autre chose. J'ai besoin d'aller plus loin en création. J'ai écrit des romans, et j'ai envie de m'y remettre. J'écris des nouvelles. Je veux plonger dans l'écriture et, pour aller loin dans un art, ça prend du temps.»

Le vedettariat lui pèse, beaucoup, énormément, à la folie. Pour lui, la réputation, ce n'est pas une vallée, mais un abîme donnant le vertige. «J'ai grandi avec Pink Floyd sans avoir idée de la tête des gars qui faisaient cette musique. Moi, plus jeune, j'ai essayé d'écrire des romans, et je n'ai rien produit de bon. Je me suis essayé à la chanson, et j'en faisais des bonnes. Le vedettariat est arrivé. J'ai été pris en photo. J'ai été vu à la télé. Je pourrais étendre ce vedettariat à la planète entière. Ce serait la prochaine étape pour moi. Je devrais me muscler, signer avec un major, tourner des vidéos entouré de belles filles. Ça ne m'intéresse pas. Je n'aime pas ça vivre sur une image ou dans l'idée que les autres se font de moi. Ça ne m'intéresse pas de capitaliser sur ma renommée pour faire de l'argent. Ça ne m'intéresse pas de mourir comme Rita Hayworth qui se prenait pour elle-même à la fin de sa vie.»

Franchement, bien des aspirants grosses poches présents avant-hier au gala de l'ADISQ donneraient le bras gauche de leur guitariste pour arriver au tiers du quart de la renommée de Johnny The Woolf. Avec Loft Story ou Star Académie, le vedettariat devient même une valeur en soi: dis-moi qui te vois, je te dirais qui tu es. Plutôt que «médecin» ou «pompier», bien des adolescents répondent maintenant «célèbre» quand on leur demande ce qu'ils veulent faire plus tard.

«Les gens croient au vedettariat. Ils y voient une parcelle d'éternité. Moi, je trouve ça idiot. Wilfred, le champion de Star Académie a une rue à son nom dans son village au Nouveau-Brunswick. Les gens suivent les panneaux indicateurs pour retrouver la maison où il a grandi. C'est kétaine. Même le vedettariat d'Einstein est idiot.»

Mieux, Leloup dorénavant solitaire, tire une leçon sur l'idiotie généralisée de la bête humaine à l'heure des médias et de la guerre atomique. «On vient des singes. Le gros gorille peut lancer une roche à 100 mètres et dominer à cette distance. Au-delà de cette limite, les autres gorilles peuvent exister en paix. Le gorille humain, lui, dispose d'une portée incommensurable. De gros gorilles épais, venant de pays riches, réussissent à dominer l'univers entier. Un humain normal devrait rayonner dans son quartier. Wilfred, à pied, aurait dû se rendre à Moncton. Le vedettariat moussé par les médias permet de rayonner partout sur la planète.»

Il n'y a donc aucun avantage à la célébrité? «Oui, oui: tu fourres qui tu veux, et tu fais beaucoup d'argent», répond celui qui y goutte jusqu'à plus soif dans le joyeux monde du «sex, drug, rock & n'roll». «Moi, je n'ai plus envie de capitaliser sur mon image. Je vais maintenant coucher avec des filles qui vont me trouver beau et sexy pour moi-même», annonce M. Leclerc.

Il a de la classe le grand et beau monsieur. Sa révérence, son pied de nez, il les tire avec un big band. Deux supplémentaires (15 et 16 novembre) viennent d'être ajoutées aux quatre premières représentations. «C'est un Chri[bip] de gros show. Je vais le reprendre une vingtaine de fois, et puis ça va s'arrêter. C'est une autre leçon: ce n'est pas parce que ça marche que ça doit continuer. Une fois que tu as gagné une médaille olympique, tu fais quoi? Tu continues et tu en gagnes une autre, puis une autre encore. Mais un jour, tu peux choisir de t'arrêter.»

Et après, il fera quoi Monsieur Leclerc? Des projets, il en a plein les poches. Il veut écrire des nouvelles, des romans. Il parle d'enseigner la chanson à des enfants dans des camps de réfugiés. Il va peut-être même continuer à composer des chansons. «Si j'en écris, je vais les donner sur Internet. De toute manière, les disques se copient tellement facilement maintenant...»
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Dernière mise à jour le 28 octobre 2003.
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