Cinéma L'Amour
par Jean-Yves Girard
dans Le Devoir, 24 septembre 2004
Article

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur ce cici, sur ce cinoche, le vrai, le faux, le beau, le poche, le seul porno, encore debout, à Montréal.

Quand - et c'est imminent - Tout le monde en parle invitera une star du X (payant pour les cotes d'écoute) et l'assoira entre Serge Chapleau (payé pour insulter) et Nelly Arcan (payée pour minauder), le choix de Jack Napier devra s'imposer. En cinq ans, cet étalon noir américain amanché pour veiller très tard et payé pour pilonner, découvert par hasard alors qu'il était chômeur dans un quelconque ghetto, a atteint le sommet du hard. L'American wet dream fait homme. Lundi soir, nous étions une trentaine à avoir payé 8 $ pour admirer son entregent auprès de gentes dames bouche bée devant son entrejambe dans There's Something About Jack, # 27, à l'affiche au cinéma L'Amour. Mon verdict? Un four.

L'intrigue (the plot, comme on dit en anglais): dans une série d'historiettes, Jack le baiseur se promène de-ci, de-là, fait des rencontres, dit trois mots, hop!, baisse son froc et va aux toasts. Si « l'amour physique est sans issue », comme le chantait un Gainsbourg libidineux à une Birkin haletante, pour Jack le flasher, son contrat en stipule une: l'éjaculation. On la souhaiterait parfois précoce, ce qui nous éviterait des redites, voire des longueurs de 30 cm. Dans l'impossibilité d'appuyer sur la touche FF, l'amateur de jolies courbes néoclassiques peut alors en profiter pour embrasser d'un coup d'oeil cette salle vraiment splendide et hors du temps, qui a protégé une virginité architecturale depuis son érection initiale, il y a exactement 90 ans.

Déjà, à l'époque, sexe et septième art formaient une belle paire (à votre prochain séjour à Copenhague, ne ratez surtout pas le musée érotique et ses étonnants films cochons du début du XXe siècle). Mais L'Amour, qui s'appelait alors le Globe, mi-cinéma, mi-salle de théâtre, ne frayait absolument pas dans ces eaux troubles. Planté en plein quartier juif, on y présentait des films en yiddish et des spectacles très habillés.

« C'est là que, le 22 octobre 1926, Houdini a été frappé au ventre par un étudiant de McGill et en est mort une semaine après », raconte Claude Chamberlan, figure bien connue du boulevard Saint-Laurent, historien à temps perdu et directeur du Festival du nouveau cinéma. Vérification faite, Houdini, en représentation à Montréal, a bien reçu des coups de poing à l'abdomen, ce qui aurait aggravé une appendicite déjà existante, mais l'incident n'a probablement pas eu lieu au Globe (peut-être quelque part sur le campus de l'université, où il avait été invité pour donner une conférence sur le spiritisme, ou sans doute au Princess Theatre, aujourd'hui le Parisien, rue Sainte-Catherine). Peu importe, Claude tient mordicus à cette légende qui enrobe de magie un endroit qu'il chérit, et en rajoute même: « Sarah Bernhardt a aussi joué au Globe. »

Avec un peu d'effort, et ça en prend pour oublier le va-et-vient constant des spectateurs (quinquagénaires, au minimum) qui semblent plus préoccupés à voir l'action dans les rangées que sur l'écran, on peut imaginer, pour faire plaisir à Chamberlan, la grande tragédienne jouant La Dame aux camélias entre ces murs. « Ne me trompe pas, Armand, songe qu'une émotion violente peut me tuer; rappelle-toi bien qui je suis, ce que je suis... » Ça nous change du « Oh! It's sooo big! » et de son proche parent, l'inévitable « Prends ça, salope ».

La chose est inexplicable mais presque tangible; cette salle, elle a, elle l'a, ce je-ne-sais-quoi que d'autres n'ont pas, qui nous met dans un drôle d'état. Sont-ce les ombres qui bougent là-bas? Le balcon ouvragé, plongé dans un noir hitchcockien? L'odeur de grenier et de brocante? L'humidité qui transperce comme dans un caveau? Ou le vieux schnouk qui, j'ai bien peur, se branle debout dans l'allée?

Par contre, ce qui est sûr, c'est que le Globe, devenu le Hollywood, puis le D'Orsay, puis un porno, le Pussycat, en 1969 (!), pour finalement s'appeler L'Amour et porter désormais en solo le flambeau des films de fesses à Montréal, offre le cadre parfait pour du cinéma de répertoire, atmosphère en sus. Tout cinéphile à tendance rétro viendrait y prendre son pied à l'occasion si Le Cabinet du docteur Caligari, Nosferatu ou Le Fils du scheik y étaient présentés plutôt que Lâche-moi les valseuses, Innocence perdue au bois de Boulogne, ou la revanche des lèvres turgescentes ou Belles miches: sous le pavé, le foutre...

Fans de Valentino, Charlot et Harlow, ne retenez pas votre souffle, croit Claude Chamberlan. Onanisme, exhibitionnisme et voyeurisme, les trois mamelles de L'Amour, sont là pour rester. « Un cinéma de répertoire, pour survivre aujourd'hui, doit avoir trois, quatre salles. Oui, on a pensé à le restaurer [on » comprend bien sûr son complice et grand argentier, Daniel Langlois]. Mais transformer L'Amour aurait coûté une fortune et aurait dénaturé l'endroit. On a finalement opté pour le Cinéma du Parc. »

Chamberlan entretient quand même sa flamme pour L'Amour en louant la bâtisse. « La première fois, c'était pour Magnifico. Comme j'avais pas d'argent [c'était quelques années avant D. L.], plutôt que de payer, je faisais du troc. Pendant une semaine, avec une gang de bénévoles, j'ai peinturé la salle au complet et tout nettoyé, dont le plancher. Il a fallu frotter... »

Claude est heureux: le 33e Festival du nouveau cinéma revient à L'Amour. « Ce que je te dis là, c'est une primeur. » OK, boss. Le dernier film d'André Forcier, Acapulco Gold, un moyen métrage de Jean Leloup (Noir destin que le mien) et un long métrage de François Gourd (L'Avis d'un fou) seront donc projetés dans cet antre fabuleux de style beaux-arts astiqué de fond en comble. L'occasion rêvée de découvrir un secret bien gardé sans se compromettre... et sans rester collé sur le siège, sauf si le film est génial.

- Cinéma L'Amour, 4015, boulevard Saint-Laurent, Section VIP, à l'étage, pour couples, www.cinemalamour.com.
- Festival du nouveau cinéma de Montréal, du 14 au 24 octobre, www.nouveaucinema.ca.
- Musée érotique de Copenhague, http://www.museumerotica.dk/

Photo: Ruiz, Pedro. Derrière cette façade moche, à l'abri du vulgum pecus, la pornstar Jack Napier sera bientôt remplacée par la moviestar d'Acapulco Gold, Roy Dupuis.
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Dernière mise à jour le 27 septembre 2004.
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