Jean Leloup et le showbiz : Le public n'est pas dupe
par Denis Lavoie
dans La Presse, 8 octobre 1989
Entrevue

Il était une fois, un jeune artiste bourré de talent, auquel on promettait un brillant avenir. Il avait pour nom Leclerc, lorsqu'il remporta la palme du Festival de la chanson de Granby il y a six ans. Depuis qu'il fait sérieusement carrière, il est devenu Jean Leloup, pseudonyme qui illustre son esprit agressif à l'endroit des cruels requins de l'industrie du disque.

N'empêche que pour survivre dans cette jungle de la culture commerciale, le jeune artiste a dû faire des compromis, des concessions, pour finir par donner le titre de Menteur à son premier microsillon. Il ne s'y reconnaît plus, ce qui illustre bien les manipulations et mutilations qu'on peut faire subir à une chanson quand elle passe dans le moule industriel du studio d'enregistrement.

«Les paroles de mes chansons n'ont pas changées, mais la musique est devenue toute autre chose que ce que je désirais... Question d'intégrité, il fallait bien que je trouve à manger.» Ainsi Leloup justifie-t-il son titre de Menteur. Et du coup il se lance dans une explication sur l'avidité de ceux qui gravitent autour de l'artiste qui les fait vivre, depuis les musiciens jusqu'aux radios. Tout le monde le sait, et plus d'un artiste à payer le prix pour apprendre.

Heureusement qu'il y a la scène, où l'artiste peut s'exprimer plus librement, et rencontrer son public sans intermédiaire, sans filtre. «Le public n'est pas dupe. Mais je dois mener un gros combat pour me rendre jusqu'à lui. C'est pour faciliter les choses que j'ai donc signé avec un gros gérant (Alain Simard), mais avec une clause qui me donne toute liberté artistique.

«Je me suis arrangé pour entrer dans la machine du showbiz. Ça a pris Starmania (il y joue le rôle de Ziggy dans la production québécoise de 1986-87) pour convaincre les gens de l'industrie. Et j'ai dû me faire menteur sur disque pour faire plaisir à l'industrie.»

Mais en spectacle, les 12, 13 et 14 octobre aux Foufounes électriques, Jean Leloup veut se montrer sur son vrai jour, en rocker impénitent qui ne conçoit pas qu'on puisse passer «un message qui ne soit pas un peu agressif.»

Au lendemain des compromis faits pour l'enregistrement de son premier disque, fier cependant que la seule chanson qui lui ressemble vraiment ait connu un vif succès, Printemps-été, il est allé en Europe pour recruter des musiciens conformes à son idéal.

La «Sale affaire», son groupe, mi-européen mi-québécois, se veut pronfondément rock, Leloup estimant qu'il n'y a que les anglophones ici qui se risquent à brasser le monde en spectacle. «Lors d'un récent spectacle à Sherbrooke, je suis descendu de scène pour faire bouger le public qui demeurait assis. A la fin, tout le monde sautillait.» Leloup aime un public qui réagit, qui ne demeure pas béatement écrasé sur son siège.

«Un spectacle se doit d'être quelque chose d'éclaté. On ne travaille donc pas la mise en scène et j'improvise des monologues entre les chansons, surtout quand le public n'en est pas un de connaisseurs. Mon but ce n'est pas d'avoir des applaudissements, mais qu'on ait du fun. Je ne veux pas m'adresser qu'à la tête. Dans mes textes (Leloup a étudié en littérature à l'Université Laval) je parle de choses immorales et anti-sociales. Je ne m'adresse pas à l'intelligentsia mais à la foule. Je n'ai pas envie d'expliquer mes textes mais de les vivre sur scène. Et si je parle beaucoup de sexe, ce n'est pas davantage que ne le font les rockers anglophones.

«Je veux amener les gens insidieusement à se demander ce qui leur arrive», délare encore Jean Leloup. Natif de Québec, l'artiste a connu la dure réalité de l'Afrique, ayant vécu au Togo et en Algérie, ce qui a bien sûr inspiré une de ses chansons

Affirmant qu'il change de style tous les ans, Jean Leloup compte donc nous surprendre d'année en année, estimant qu'il pourrait facilement faire mieux que ce que demande l'industrie, pas plus d'un nouveau disque tous les deux ans.
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Dernière mise à jour le 11 mars 2003.
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