| |
Après moi le déluge...
par Nathalie Petrovski dans La Presse, 8 novembre 2006 |
Article
|
C'est en train de devenir une manie, et pas des plus jolies. Cette manie afflige tout particulièrement les créateurs de 60 ans et plus et parfois même des créateurs dans la jeune quarantaine en voie de devenir des mononc' repus dont le refus de se faire dépasser par l'ombre d'un émule ou d'un héritier frise le trouble narcissique extrême. Leur devise? Après moi le déluge. Coup sur coup depuis une semaine, trois créateurs qui ont marqué leur temps et pas les moindres, Lise Payette, Robert Charlebois et Jean Leloup-Leclerc-Deadwolf alias Jean-je-vous-emmerde sont sortis de leurs musées respectifs pour s'en prendre à leurs contemporains. Robert Charlebois a parti le bal le soir du gala de l'ADISQ en confiant aux médias qu'il était peu impressionné par une relève musicale québécoise qualifiée de brouillonne et dont les oeuvres botchées témoignent selon lui d'une absence criante d'orfèvres de la chanson. Hier dans La Presse, Jean-on-ne-sait-plus-comment-l'appeler en rajoutait en qualifiant l'ère actuelle de la chanson d'âge de la ouate, sous entendu une ère de pâtes molles, de sans colonne et à la limite, de sans talent sans rien à dire. Jean Machin comme Charlebois ont ceci en commun qu'ils jurent qu'ils se meurent d'être éblouis par leurs contemporains. Mais va savoir pourquoi, à tout coup, la ferveur de leurs attentes n'a d'égale que la profondeur de leur déception. Idem pour Lise Payette qui trouve que depuis qu'elle a déserté les couloirs du téléroman, personne n'a su faire aussi bien qu'elle. Les téléromans d'aujourd'hui à ses yeux sont ennuyeux, superficiels et enlisés dans l'axe monotone et redondant du je te vois, je te baise, je te quitte. Ah le bon vieux temps... À mon humble avis, ces trois-là sont non seulement dans le champ, mais offrent le spectacle désolant d'artistes imbus d'eux mêmes et sans générosité, carburant à un défaitisme d'autant plus déplorable qu'il est brouillé par la vaseline de la nostalgie. Je ne peux m'empêcher de voir dans leurs propos un système critique qui tourne à vide, à la fois gonflé par leur suffisance (ou par leur insécurité) et sous-alimenté par ce qui apparaît comme une méconnaissance crasse de ce qui se produit actuellement dans leur domaine. Mais le plus triste, c'est qu'en même temps que nos trois lascars accablent ceux qui font tourner la roue à leur place, ils se gardent bien de porter aux nues ou même de saluer ceux dont le talent est aussi prometteur et éclatant que le leur fut autrefois. Jean Machin dira de Pierre Lapointe qu'il est pas pire, un euphémisme envoyé sans grande conviction dont il coupera d'ailleurs immédiatement l'élan en ajoutant: mais je ne connais pas bien ses affaires. Autant dire que si Jean Machin avait pris le temps de bien écouter La forêt des mal-aimés de Lapointe, il y aurait sans doute découvert une sensibilité proche de la sienne du temps où il était résolument tourné vers la vie et non engagé dans une entreprise de déconstruction morbide et mortuaire à l'image de Mexico, son dernier CD. Charlebois, pour sa part, préfère pourfendre les botcheurs ou alors célébrer le talent des orfèvres morts comme Dédé Fortin plutôt que celui des vivants. Quant à Lise Payette, elle passe carrément sous silence des petits bijoux d'invention, de fantaisie et d'humanité que sont Tout sur moi, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Minuit le soir et des dizaines d'autres créations qui ont vu le jour depuis le trépas des Dames de coeur. Je ne cache pas qu'il y a eu des périodes où la culture québécoise n'était pas des plus fulgurantes. Des années où la musique et la chanson s'enfonçaient dans une vase molle et complaisante. Des saisons, surtout estivales, où la télé québécoise ne nous donnait rien à nous mettre sous la dent, mais ce n'est franchement pas le cas en ce moment. Peut-être que politiquement ça pourrait aller mieux au Québec mais au plan de la chanson et de la musique, on a rarement vu autant d'effervescence et de diversité musicale. Du côté de la télé, s'il n'y a pas de grandes fictions rassembleuses comme La petite vie ou Les Bougon ou de grands classiques comme Omertà, il y a une constellation de propositions qui, à défaut d'être géniales, ont le mérite de chercher à repousser les frontières de l'expression télévisuelle. Cela n'empêche pas les inepties de la téléréalité ni les jérémiades de Dany Bédar, mais ces calamités sont heureusement des accidents de parcours. L'important, c'est qu'en 2006, la roue continue de tourner comme elle tournait il y a 10, 15 ou 30 ans. Et si elle tourne encore c'est qu'il n'y a jamais eu de déluge. Seulement un flambeau qui s'est passé d'une génération à l'autre et dont la forme a changé au fil du temps. Au lieu de s'inscrire contre ce mouvement inéluctable, nos trois amis devraient l'épouser. Ça les aiderait à vieillir en beauté plutôt qu'envieux et frustrés. Photo Patrick Sanfaçon, archives La Presse: Robert Charlebois a parti le bal le soir du gala de l'ADISQ en confiant aux médias qu'il était peu impressionné par une relève musicale québécoise qualifiée de brouillonne. |
Cet article contient aussi des images:
[1]
[2]
|
page principale
| articles: alphabétique
| articles: chronologique
| photos
Dernière mise à jour le
10 novembre 2006.
|