Le culte de la nouveauté
par Alain Simard, David Jobin, Guy Latraverse, André Ménard, Laurent Saulnier
dans La Presse, 7 mai 2001
Article

Le lendemain de son article-bilan sur le «relatif insuccès» du Festival de Bourges, titré «Trop loin dans le pointu ?», le journaliste Jean-Christophe Laurence reprochait aux FrancoFolies de Montréal de faire précisément l'inverse, dans un article ainsi coiffé du verdict impitoyable: «FrancoFolies 2001: du déjà vu».

Pourtant les FrancoFolies de Montréal venaient d'annoncer une programmation en salle de 50 spectacles, dont dix créations uniques regroupant plusieurs artistes (trop de valeurs sûres ?) sur une même scène et une dizaine de nouveaux spectacles présentés pour la première fois à Montréal. Son titre était d'autant plus incompréhensible que, trois pages plus loin, on pouvait en lire un autre: «La Fête, la Fête et encore la Fête» à propos d'un festival de blues dont la majorité des artistes sont déjà venus au moins 10 fois au Festival de Jazz.

Ironiquement, Martin Deschamps et Les Respectables sont les deux premiers artistes nommés par le journaliste pour illustrer cette «impression de déjà vu» alors que c'est justement un objectif des FrancoFolies de ramener en salle ceux qui ont connu les meilleurs succès à l'extérieur. Et sa liste continue avec Marie-Jo Thério qui montera pourtant un spectacle spécial pour les FrancoFolies avec plusieurs amis et invités, tout comme le feront aussi Daniel Boucher, Fred Fortin, Groovy Aardvark, et plusieurs autres.

Arthur H., un artiste incontournable, présentera pour la première fois de sa vie cinq spectacles différents en cinq soirs. Voilà une nouveauté, sans doute l'un des meilleurs coups des organisateurs. Pourquoi se plaindre des fréquentes venues de cet artiste à Montréal, plutôt que nous apprendre qu'on pourra le voir pour la première fois en compagnie de Jorane, par exemple ? Quant à Jean Leloup, il s'agit de son seul spectacle de l'année 2001 à Montréal, un nouveau spectacle électrique en première partie duquel on verra nul autre que Stefie Shock. C'est une idée de Leloup lui-même qui partagera ainsi la scène avec un autre artiste pour la première fois.

Combien de fois Juliette Gréco a-t-elle chanté à Montréal durant toute sa vie ? Pourquoi nous reprocher de permettre son retour après trois ans ? Reviendra-t-elle jamais chez nous, si elle n'y chante pas cette année ? Pourquoi qualifier péjorativement de «remake» la création nord-américaine du spectacle de théâtre musical Les Parapluies de Cherbourg qui n'a jamais été monté au Québec et qui tient incidemment l'affiche pendant toute la durée des FrancoFolies, soit une sixième série de huit représentations ? (L'article parle de cinq séries de sept représentations).

Pourquoi omettre les premières de nouveaux spectacles tant attendus comme Lili Fatale ou Patrick Fiori pour souligner négativement les derniers disques de Maurane, Michel Jonasz et Vanessa Paradis, plutôt que d'attendre de voir leurs spectacles inédits avant de les présumer sans intérêt ? D'ailleurs, en consultant la revue de presse des dernières années, une constante saute aux yeux: la majorité des artistes qui ont initialement servi de prétexte pour discréditer la programmation des FrancoFolies ou du Festival de jazz ont pourtant reçu une bonne critique au lendemain de leurs spectacles.

Nous trouvons regrettable et démotivant de voir, depuis plusieurs années, nos événements mesurés systématiquement à l'aune du culte de la nouveauté et souvent condamnés à l'avance par les journalistes de La Presse à partir d'une vision partielle de la programmation puisque les spectacles extérieurs gratuits sont annoncés plus tard. Devons-nous rappeler encore une fois que c'est la mission même et l'engagement des FrancoFolies de faire connaître les nouveaux artistes et que c'est dans la programmation extérieure que l'on retrouve forcément le plus d'audace, de nouveautés et de découvertes ?

Que ce soit aux FrancoFolies ou au Festival de Jazz de Montréal, nous travaillons d'arrache-pied à bâtir des programmations en salle originales et de qualité qui plairont d'abord et avant tout à un large public - principalement constitué des lecteurs de La Presse - des gens sensés qui payent leur place d'abord et avant tout pour voir des artistes qu'ils connaissent et qu'ils aiment. Et, dans le cas des FrancoFolies, nous leur offrons alors un billet gratuit pour découvrir un spectacle francofou de leur choix. Ensuite, nous leur présentons des centaines de spectacles gratuits sur nos scènes extérieures, dont le rôle est de faire découvrir de nouveaux artistes et de nouveaux sons, afin de contribuer à bâtir les vedettes de demain. Nous croyons sincèrement faire de notre mieux pour remplir notre mission de promotion des différents styles musicaux et de développement de nouveaux publics.

Pour nous, cet article et surtout son titre, constituent un véritable «déjà vu» qui commence à ressembler à de l'acharnement, d'autant plus que de tous les médias écrits et électroniques, d'ici et d'ailleurs, La Presse est le seul à maintenir une ligne éditoriale toujours aussi négative au sujet de nos événements et de leur philosophie de programmation. Les trois autres quotidiens de Montréal ont d'ailleurs salué avec enthousiasme cette «programmation excitante» (Journal de Montréal), «remarquable équilibre que reflète l'impressionnante brochette» (Le Devoir) et présentant plus que jamais le nouveau visage de la musique québécoise (The Gazette).

Mentionnons enfin qu'il aurait été intéressant de lire qu'en clôture, les FrancoFolies célébreront La Grande Paix de Montréal, 300 ans, jour pour jour, après la signature du traité historique signé le 4 août 1701 entre la Nouvelle-France et 39 nations amérindiennes. Se sont ajoutés à la distribution Paul Piché et Richard Séguin, deux artistes majeurs, reconnus pour leur engagement dans la cause autochtone.

Peut-être faut-il imputer à la fatigue due au décalage horaire du journaliste son manque d'attention à tout ce qui s'est dit lors de la conférence de presse. On peut comprendre aussi qu'il est facile pour quiconque passe tous les soirs de l'année à voir tous les spectacles présentés à Montréal de tomber inconsciemment dans le piège du désabusement. Sans doute faudrait-il alors tenter de se mettre dans la peau du lecteur de La Presse pour qui nos festivals sont la principale occasion de voir tous ces merveilleux artistes et musiciens, et souvent pour la première fois.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 16 mai 2001.
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