Jean Leloup Simplicité volontaire
par Alexandre Vigneault
dans La Presse, 30 novembre 2002
Article

Pendant dix ans, il a fait la pluie et le beau temps sur toutes les scènes du Québec. Le voilà aujourd'hui plus calme que jamais. Dégoûté par les amours chiches, ennuyé par la célébrité, il revient à l'essentiel avec un album dépouillé, hésitant en rock et country. Leloup se serait-il limé les crocs?

«Je ne suis pas compliqué ces temps-ci, assure-t-il. Je suis de moins en moins compliqué comme personne.» Café Romolo, lundi dernier à l'heure du lunch, Jean Leloup affiche un air calme. Presque trop calme pour un artiste qui traîne depuis une douzaine d'années une réputation de capoté, de déjanté, voire de fou furieux. Sa quarantaine aurait-elle eu raison d'une crise d'adolescence qu'on croyait éternelle?

L'air de rien, le rockeur a eu 41 ans. Mais il n'a plus peur de vieillir. «C'est déjà fait!» lance-t-il en riant. De proche, ça se voit un peu. Quelques cheveux blancs ici et là, et des ridules aux coins des yeux, bien entendu. Sur son nouvel album, La Vallée des réputations, à paraître mardi, ça s'entend un peu aussi. Leloup ne s'est pas rangé parmi les moutons pour autant.

Après les délires pop du Dôme, la déglingue entraînante des Fourmis, le voilà qui joue au cowboy urbain. Sans cheval, sans pistolet et sans cigarette -il a arrêté de fumer, «la cigarette aussi», précise-t-il-, mais avec un chapeau, un air de gaucho et son inséparable guitare. Il fait aussi cavalier seul pour la première fois en 13 ans. La Vallée des réputations paraît en effet sur son propre label, délicieusement baptisé Roi Ponpon.

«Je n'aime pas toujours consulter plein de monde avant de choisir, j'ai envie de tout décider moi-même», explique-t-il. Leloup, qui n'a jamais manqué de projet ni d'ambition, songe à utiliser sa compagnie pour jouer au mécène. Rien n'est clair pour le moment, mais il aimerait bien produire des disques et, pourquoi pas, des films. Peut-être finira-t-il aussi par publier lui-même son fameux roman dont il annonce la sortie imminente depuis deux ou trois ans. Que voulez-vous, il doute encore de la qualité de son manuscrit.

Je joue de la guitare

Sur La Vallée des réputations, Leloup adopte une approche très «simplicité volontaire». Des guitares acoustiques, un peu de guitare électrique, une basse, une batterie et une voix dans leur plus simple appareil. , dit-il avec fierté. Pas de panique dans les chaumières, Leloup ne s'est pas métamorphosé en clone de George Hamel ou de Lévis Bouliane. En dessous de son chapeau de cowboy, il garde encore son auréole pop qu'on aperçoit ici et là.

Son envie de faire plus simple, plus direct, est apparue à l'époque des Fourmis. La tendance s'est maintenue et même affirmée en 2000 lorsqu'il a entrepris une série de concerts quasi , qu'il ouvrait seul à la guitare. Après des années à jouer la pop star, à tourner avec une grosse machine, à se trouver beau, bon et fin, le chanteur avait besoin de revenir à l'essentiel. «Je suis un gars qui joue de la guitare, qui écrit ses tounes à la guitare; alors, je voulais faire un album comme ça.

«Mes tounes, je peux toutes les chanter seul à la guitare dans un café, enchaîne-t-il, je peux donc dire qu'elles existent et moi aussi. Si j'avais besoin de 42 musiciens et d'ordinateurs pour les faire, c'est simple, je n'existerais pas.»

Dans sa chevauchée à travers La Vallée des réputations, Leloup s'est quand même entouré de quelques amis. Parce que et aussi pour suivre l'exemple de Bob Marley et Hank Williams, deux de ses idoles. Ses vieux amis Alexis Cochard et Adam Chaki font partie de l'expédition. Le convoi est complété par trois nouveaux copains africains: Namori (batterie), Kevin de Souza (basse) et Charles Yapo (basse). «J'ai toujours rêvé de travailler avec des musiciens africains, parce que j'ai grandi au Togo et il y a des rythmes que j'ai en dedans de moi que les gars d'ici ne comprennent pas, expose-t-il. J'avais besoin de ça.»

Son disque a été enregistré «presque live>, comme c'est écrit dans le livret, parce que ça respire plus qu'un album fait à l'ordinateur. «Du rock fait avec des clics, je trouve que ça fait pitié, insiste Leloup. Le contact avec la matière est très profond, il ne faut pas l'oublier. Quand tu jammes avec d'autres musiciens, tu atteins des choses impossibles à toucher en gossant sur un ordinateur.»

Plus ça change, plus c'est pareil, dit-on souvent. Le spectre d'une nouvelle guerre avec l'Irak plane. Leloup est contre, c'est évident, mais il n'a pas l'intention de se répéter. «Faites l'amour, pas la guerre, je l'ai déjà dit avec 1990, je ne vais pas le redire 100 fois. Cette toune-là, je la trouve démentielle, s'emporte-t-il. Je suis content de l'avoir écrite. Je pense encore exactement la même chose, mais elle est faite et je n'ai rien à rajouter.»

Le regard qu'il pose sur le monde n'en est pas moins oblique. Plusieurs de ses textes sont de petites fables tordues, et parfois tordantes, comme toujours. La nouveauté, c'est qu'il s'autorise une simplicité qu'on ne lui connaissait pas. «Je veux te dire que je t'aime, voilà...» chantonne-t-il dans Voilà ou encore. «Tant qu'il y aura des étoiles, sur le bord de la route nous devrons nous arrêter, tant qu'il y aura des rivières, nous pourrons nous baigner...» (Ballade à Toronto). Son passé le tourmente un peu dans Les Remords du commandant, il pose un regard sur son passé: «Je pense que le ciel pleure ceux que j'ai fait pleurer, j'espère que mes erreurs n'ont pas fait trop de mal et j'aimerais que mon coeur soit intersidéral.»

Leloup serait-il en train de clore un chapitre de sa vie? «La réalité, à 25 ans, c'est que tu as envie de fourrer; à 40 ans, tu as fourré en masse et tu repenses à ça», expose-t-il doctement. Sa vie de party, il ne la renie pas. Il constate, c'est tout. Sa principale préoccupation en ce moment ne se trouve pas entre ses deux jambes, mais concerne la morosité ambiante. En fait, il trouve la vie aussi laide qu'à l'époque des Fourmis.

«Je regarde les gens autour et ce qu'ils appellent l'amour, ç'a l'air plate à mort, tranche-t-il. D'un autre côté, je vois des gens qui se quittent parce qu'ils n'aiment pas les mêmes sports... Les gens sont lamentables! Tout ce qui compte, c'est la réussite sociale. Passé 25 ans, les gens sont plutôt calculateurs, froids et méthodiques...

«Je l'ai déjà été moi aussi, admet-il. Quand je suis devenu très connu à 30 ans, je me regardais dans le miroir et j'étais donc content de me trouver fantastique! Dans ce disque-là, il y a beaucoup de réflexions là-dessus.» Après sa désillusion vis-à-vis la célébrité, il a dû se demander qui il était et se trouver un nouveau rêve. «Il ne m'était jamais rien arrivé d'autre que l'envie d'avoir plus de fric et plus de pitounes, dit-il, mon rêve n'était pas bien compliqué.

«Après quelques années à faire des entrevues, à me trouver fin et à ne penser qu'à moi, j'ai trouvé ça plate. J'ai pris une ostie de débarque, je me suis tapé une ostie de dépression parce que ç'avait été mon unique but dans la vie.» Sa dégringolade ne semble pas avoir été aussi spectaculaire que le troisième mouvement d'une musicographie typique -vous savez, le segment où l'artiste se vautre dans l'alcool et la drogue avant de devenir végétarien ou de retrouver Dieu.

Plutôt que de se transformer en cliché de vedette, il a repris sa guitare, s'est remis à observer les étoiles, a fondé sa propre compagnie de production... et a attendu un gros chèque de la Grèce où sa chanson I Lost My Baby a accompagné une publicité de saucisses! Le synopsis est simple: un boucher remplit un plein de camion de saucisses sous le regard luisant d'espoir d'un gentil chien-chien, qui espère s'en mettre au moins une sous la dent. Eh bien non! Le camion démarre et le toutou le poursuit, avec la chanson en arrière-plan. Leloup chante I Lost My Baby, le cabot pense «I lost my saucisse.» Du pareil au même, non?

«J'adore l'annonce, parce que j'aime les chiens et celui de la pub est super cool, jubile Leloup. Quand il mord dans une saucisse à la fin, il est vraiment chou. Mais ils ne m'ont pas donné assez de fric. J'attends au moins un camion de saucisses!» Et nous, des concerts.

«Mes tounes, je peux toutes les chanter seul à la guitare dans un café... si j'avais besoins de 42 musiciens et d'ordinateurs pour les faire, je n'existerais pas«, affirme Leloup.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 30 novembre 2002.
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