Le Café Campus a 40 ans
par Sylvie St-Jacques
dans La Presse, 2 février 2007
Article

Dans le très éphémère monde des bars, combien de lieux nocturnes ont le privilège de souffler leurs 40 bougies ? Ben oui, on l'avait presque oublié, tellement il fait partie des meubles : le mythique Café Campus a atteint l'âge du démon du midi ! Tandis que les modes passent dans son voisinage branché, le Campus, lui, a gardé son âme d'éternel étudiant.

Faites le test. Lâchez innocemment le nom " Café Campus " dans un groupe composé de gens qui, entre les années 1967 et 2006, ont été étudiants à Montréal et observez la réaction. D'abord, une nostalgie subtile teintera le regard de certains. Rapidement, apparaîtra dans leurs visages un petit sourire en coin. Vous savez, celui des ex-fêtards qui remercient le ciel d'avoir gardé intacts leur foie et leurs poumons, malgré la longue beuverie qu'ils appellent aussi leurs " années d'étudiants ". Puis finalement, les anecdotes " couleront à flots ", telle la Boréale en fût un soir de fin de semestre.

Y'en a qui n'en reviennent toujours pas d'y avoir entendu Richard Desjardins chanter Tu m'aimes-tu, alors qu'aucun critique de musique ne savait épeler correctement le nom " Abbittibbi ". D'autres estiment que le Café Campus devrait contribuer au remboursement de leurs prêts étudiants, qu'ils ont dilapidés allègrement en " grosses Black Label ".

Certains peuvent même raconter à leurs enfants qu'ils ont vu Jean Leloup sauter sur la scène du Campus avec son haut-de-forme qui touchait au plafond, quelques années après avoir assisté au spectacle d'adieu de Gerry Boulet. La légende veut que l'ex-Offenbach ait été si terrorisé à l'idée de laisser sa peau sur la table d'opération - il se faisait opérer le lendemain pour un cancer des intestins - qu'il s'est tapé une brosse monumentale au bar du Café Campus.

Et il existe quelques piliers qui y ont tellement bamboché qu'une partie de leur mémoire en subit encore les séquelles ! " Dans les années 70, alors que je faisais un stage intensif en sexe, drogue et rock'n'roll, j'ai fréquenté l'endroit tous les soirs, pendant quatre ou cinq ans. Mais je n'ai absolument aucun souvenir de cette époque ", admet le clown-foulosophe-cinéaste-animateur, François Gourd.

L'amour, l'expo et le Café Campus

Peut-être que le Café Campus n'aurait jamais vu le jour si la nourriture des cafétérias de l'Université de Montréal avait été plus savoureuse.

De fait, pour protester contre les prix exorbitants, la mauvaise qualité et le manque de variété des repas, l'Association générale des étudiants de l'Université de Montréal (AGEUM) a loué un local à l'angle de l'avenue Decelles et du chemin Queen-Mary, où les étudiants pouvaient apporter leur lunch. L'endroit a connu un tel succès que, le 17 février 1967, il a été ouvert " officiellement " et baptisé le... Café Campus!

" C'était un projet audacieux. À l'époque, le milieu étudiant cherchait à se prendre en main ", raconte Robert Pagé, qui travaille au Café Campus depuis 40 ans.

À ses débuts, l'endroit était plus chic que hippie. Même que sa cuisine raffinée et ses artistes de boîtes à chansons (Clémence, Jean-Pierre Ferland, Félix Leclerc...) attiraient davantage le personnel de l'Université de Montréal que ses étudiants inspirés par le flower power.

C'est vraiment après 1968, dans la foulée des contestations étudiantes, que le Café Campus a pris son envol. Après la lutte pour McGill français, la montée du nationalisme québécois, la lutte reliée aux prêts étudiants, l'AGEUM a été dissoute et un groupe de cinq personnes a été mandaté pour prendre l'affaire en main. En parallèle, l'organisme Services Campus a été mis sur pied pour gérer le secteur des services de l'université (café, distributrices...) " C'est alors que les jeans, les bibittes à poil et les filles sans soutien-gorge sont arrivés ", se souvient Robert Pagé.

Les premières années du Café Campus sont gravées à jamais dans la mémoire du journaliste Pierre Tourangeau, chef de l'information à RDI. Tellement, que son deuxième roman, La dot de la mère Missel, est une fresque de l'époque qui a comme théâtre l'Université de Montréal, les groupes de gauche, le mouvement des communes et, évidemment, le Café Campus.

" Services Campus et le Café Campus étaient à la croisée des mouvements populaires, étudiants et sociaux... C'était une époque charnière où l'on sortait du nationalisme à tous crins pour s'investir de préoccupations plus sociales. Mais parmi les groupes de gauche, il y avait des gens qui ne s'entendaient pas sur le plan idéologique ", raconte celui qui a été rédacteur en chef du journal étudiant Quartier Libre et directeur de Services Campus, entre 1973 et 1976.

" Quand je suis arrivée ici, en 1973, le Café Campus était bien installé dans ce courant d'appui au mouvement des travailleurs. D'ailleurs, notre syndicat est l'un des premiers dans le milieu hôtelier québécois ", dit Dominique Robert qui a commencé sa carrière au Café Campus comme serveuse, pour ensuite devenir barmaid et travailler en comptabilité. Jusqu'au milieu des années 90, il existait au Campus un principe de rotation qui amenait les employés à occuper divers postes dans l'entreprise.

Autre aspect qui témoigne de ce souci d'égalité : la sobriété vestimentaire qui est toujours de mise, tant chez les employés que chez la clientèle. " Ce n'est pas une place glamour. C'est une place où les simples citoyens peuvent se rencontrer. "

Reste que l'absence de prétention de l'endroit n'a pas gêné les artistes de renom qui ont défilé sur la scène du Café, ni les illustres clients qui ont fréquenté religieusement l'endroit.

" Aux lundis blues, j'ai entendu les plus grands bluesman. Des légendes comme Muddy Waters, Lois Glenn, Big Mama Thornton... " se remémore Pierre Tourangeau.

Octobre, Manège, Offenbach, Diane Dufresne, Robert Charlebois, Beau Dommage, Fiori Séguin, Smashing Pumpkins... Le Café Campus a accueilli des légendes et assisté à des moments d'anthologie. Comme ce fameux spectacle de Marie Chouinard qui a valu une réprimande à un barman.

" Dans une chorégraphie, Marie Chouinard devait tourner sur elle. Le concept était qu'elle s'engageait à passer la nuit avec la première personne qu'elle apercevrait, au moment d'ouvrir les yeux. L'hôtel était réservé et la limo attendait à la porte. Par une drôle de coïncidence, elle est tombée sur un des barmans. Et celui-ci n'a pas terminé son quart de travail... " raconte Geneviève Boyer, jeune coordonnatrice des communications, qui a entendu plus d'une fois cette histoire.

Lors de nombreux " Dimanches francophones ", la piste de danse devenait carrément endiablée, quand le DJ faisait tourner La bite à Ti-Bi. Avant 1993, ceux qui avaient l'habitude de dîner à l'ancien Café Campus, avenue Decelles, ont plus d'une fois aperçu Jacques Parizeau feuilletant des journaux anglais en dégustant des hot-dogs. Et Robert Pagé se rappelle une soirée d'élections, où un célèbre habitué a fait tourner des têtes.

" Robert Bourassa est passé par le Café, avant même de faire son discours à la nation. Il s'est avancé au bar entouré des agents de la SQ, a commandé une Laurentide et l'a calée devant tous les jeunes. "

Imaginez Jean Charest ou André Boisclair en faire autant!

PAR ICI LA SORTIE
Revenir au Campus

Vous n'avez pas mis les pieds au Café Campus depuis des lustres ? Ou bien vous mourez d'envie de découvrir ce qui fut jadis le haut lieu de la débauche version " flower power " ? C'est le temps de visiter ce lieu qui fait swinguer les étudiants depuis 40 ans : une programmation festive est prévue du 8 au 17 février.

Le jeudi 8 février, le bal sera lancé par une soirée de gala animée par Marco Calliari, où seront réunis des artistes comme Anik Jean, Antoine Gratton, Les Breastfeeders, Call Me Poupée, Lucien Francoeur, Papillon, Xavier Caféïne et autres.

Au programme aussi " les soirées thématiques ", ces incontournables du Café Campus.

Les Dimanches francophones recevront, le dimanche 11 février, une prestation spéciale du mythique Raôul Duguay, auteur de La bite à Ti-Bi, hymne officiel de cette soirée née en 1992 qui attire encore les foules. Le 13 février, les nostalgiques des années 50-60-70 et 80 pourront se déchaîner avec l'aide de DJ LaGrange.

Deux soirées seront consacrées à l'impro.

Selon la rumeur, les comédiens Sylvie Legault et Claude Legault (des anciens de la Ligue universitaire d'improvisation) participeront au match spécial de la Coalition des improvisateurs anonymes, qui aura lieu le 12 février. Le jeudi 15, ce sera le tour de la Ligue d'improvisation musicale de Montréal de sauter dans l'arène.

Une grosse soirée pop-rock est prévue le 16 février, avec sur scène Malajube et Caféïne. Et pour clore ses festivités, le Café Campus se paie les sexy services de Diary of a Lost Circus, un groupe burlesque qui donne dans le " marching band ", les danseuses cancan, le trapèze, etc.

Pour plus d'informations : www.cafecampus.com

EXCLUSIVITÉS

Le 23 juin 1990, date de l'échec de l'accord du lac Meech, le Café Campus a payé la bière à tous ses clients venus célébrer la Saint-Jean. " Si on avait fait des sondages, ce soir-là, je pense que le camp du OUI aurait rallié 75 % des Québécois ", raconte le journaliste Francis Vailles, qui a fréquenté le Campus entre 1988 et 1990.

Toujours fidèle à ses principes d'autogestion, le Café Campus compte 53 membres.

Les comédiens Emmanuel Bilodeau, Claude Legault, Sylvie Moreau, Réal Bossé, Michel Courtemanche et Didier Lucien ont tous fait de l'impro dans la Ligue universitaire d'improvisation qui se produisait au Café Campus. Celui qui a arbitré pendant les matchs était nul autre que notre estimé collègue Yves Boisvert.

Il y a environ cinq ans, les étudiants de McGill ont " découvert " le Café Campus. Depuis, la clientèle anglophone est plus importante.

Jusqu'à la fin des années 80, la consommation de drogues douces (cannabis) était tolérée au Café Campus. " À un moment donné, les corps policiers qui étaient conscients de ça nous ont informés d'une nouvelle directive de tolérance zéro ", raconte Robert Pagé.

Tandis qu'il participait à un tournoi échelonné sur plusieurs jours à Québec, le joueur d'échecs Kevin Spragget faisait quotidiennement l'aller-retour Québec-Montréal pour passer la soirée au Café Campus.

Pendant les années 80, la Black Label a longtemps été la bière la plus vendue au Café Campus.

Pour plus d'informations sur le Café Campus et visionner un court documentaire sur son histoire, consultez le www.cafecampus.com

CHRONOLOGIE

17 février 1967 : ouverture officielle du Café Campus, à l'initiative de l'Association générale des étudiants de l'Université de Montréal.

Printemps 1969 : l'AGEUM est dissoute et mandate un groupe de cinq personnes pour disposer des actifs de l'association dont fait partie le Café. Services-Campus sera créé à l'automne et gérera le secteur des services (café, distributrices...)

Début des années 70 : les étudiants fréquentent de plus en plus l'endroit. Par contre, des problèmes avec le voisinage surgissent et plusieurs résidants demandent la fermeture du Café.

1974 : création du Syndicat des travailleurs du Café Campus (STCC).

17 mars 1981 : après un an et demi d'essai sans directeur, le Café Campus célèbre l'autogestion.Années 80 : cette décennie sera marquée par la lutte pour la survie du Café Campus. Des résidants du quartier veulent faire fermer l'endroit, en raison du bruit nocturne.Septembre 1991 : le Café Campus déménage rue Prince-Arthur.

Années 90 : le Café Campus attire une nouvelle clientèle, formée entre autres d'étudiants de l'UQAM et d'élèves du cégep du Vieux-Montréal. Pendant huit ans, il bénéficie d'une nouvelle visibilité grâce à l'émission humoristique Piment fort.

2000 : en plus des jeunes francophones des universités et collèges environnants, le Café Campus attire désormais des touristes ainsi que des étudiants de McGill et Concordia. La bière peu coûteuse, les portiers sympathiques et les hits des DJ font contraste avec les autres bars du quartier.

2007 : le Café Campus célèbre ses 40 ans d'existence.
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Dernière mise à jour le 19 novembre 2007.
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