Où s'en va la pochette?
par Marie-Christine Blais
dans La Presse, 25 septembre 2004
Article

Un dinosaure, la pochette? Après avoir été réduite des trois quarts à l'arrivée du CD, s'éteindra-t-elle au prochain ébranlement technologique? Le téléchargement de la musique a-t-il déjà sonné le glas du "visuel"?

On l'oublie, mais longtemps, du temps du rouleau de cire, puis du format 78 tours, la musique enregistrée s'est vendue sans pochette digne de ce nom. Même pendant son âge d'or - l'ère du vinyle pendant les décennies 60, 70 et 80, dont il sera beaucoup question ce soir, 20h, à MusiMax, dans la Musicographie Les Disques d'art -, les 45 tours étaient généralement offerts sous simple enveloppe de papier. Mais le téléchargement des chansons, sans l'achat de l'album et donc de sa pochette, vient ébranler sérieusement l'existence même de ce support visuel, déjà soumis à des contraintes commerciales importantes (le nom de l'artiste doit être clairement visible même quand l'album est dans un bac ; le coin supérieur droit laissé libre pour qu'y soit apposée l'étiquette de prix, etc.).

"C'est vrai que, dans le milieu, on constate que les demandes pour des pochettes ont baissé", convient le graphiste et concepteur de pochettes Stéphan Doe (alias Spartan 42). "Et les budgets pour les concevoir ont, eux aussi, baissé. Il faut reconnaître que c'est une des façons de vendre la musique moins cher, de plus en plus nécessaire dans un monde de jeunes consommateurs où la culture des droits d'auteur n'est pas très développée."

"Les gens qui téléchargent tout un disque vont souvent télécharger la pochette, mais certainement pas l'intérieur du livret, affirme pour sa part Bruno Guglielminetti, spécialiste en nouvelles technologies à la radio de Radio-Canada et collaborateur à La Presse.

Certains lecteurs multimédia permettent aussi de voir la pochette pendant qu'on écoute une chanson. Ce qui existe également beaucoup, c'est que les gens téléchargent une chanson de tel et tel artiste pour les réunir sur un album- concept, qu'ils font eux-mêmes autour d'un même thème et pour lequel ils vont concevoir une pochette maison."

Effectivement, de plus en plus, il est coutume de remettre aux invités d'un mariage ou d'un événement de ce genre un album constitué de chansons choisies avec soin, accompagné d'une pochette personnalisée.

Mais la bonne vieille pochette elle-même, conçue par un artiste en fonction du travail d'un autre artiste? Et le livret, cette valeur ajoutée indéniable de la pochette CD, inexistant du temps du vinyle? Sous la bannière de Circo de Bazuka, Thomas Csano a fait des pochettes entres autres pour Ramasutra, pochettes couronnées de prix. "Même avant les MP3, explique-t-il, les gens avaient moins besoin de pochettes: on met tous nos pucks (les disques de plastique eux-mêmes) dans des porte-CD, plus légers et souples, pour les transporter hors de la maison. Quand on y pense, même les systèmes de son vont sans doute disparaître. C'est mon ordinateur, maintenant, qui me sert de système de son de qualité. L'ère du numérique est là, c'est incontournable."

"Mais peut-être verra-t-on naître un tout nouveau genre de pochette. Par exemple, des petits livres qu'on pourrait feuilleter en écoutant un disque, livres qu'on pourrait s'imprimer. On s'aperçoit que le support visuel est important: bien des gens font découvrir, sur leur ordinateur, de la musique à leurs copains et ils vont spontanément leur montrer le site Web du groupe ou des fonds d'écran des artistes. L'idée de l'image associée à la musique va sans doute demeurer: ça se peut pas qu'on devienne tous des auditifs (rires)! Qui sait si, un jour, on pourra peut-être télécharger aussi des odeurs, par exemple, pour accompagner telle ou telle musique?"

Paradoxe fascinant, certaines personnes ont fait la constatation suivante: gros "téléchargeurs", ils oublient plus rapidement ce qu'ils ont enregistré, faute de support visuel qui "fixe" le nom de l'artiste ou le titre de la pièce dans leur cerveau. On en a tous fait l'expérience: dites Dark Side of the Moon, Le Dôme ou La Cinquième Saison, et ce sont non seulement des airs qui nous viennent en tête, mais également les pochettes de ces disques!

"En plus, il faut bien le reconnaître, une série de CD de marque Maxell, Verbatim ou Memorex (les marques des CD sur lesquels on grave la musique téléchargée), ça n'est pas très beau dans une collection ", dit en riant Stéphan Doe.

Mais qu'arrivera-t-il alors à la pochette? "Je ne le sais pas, répond le chanteur Michel Rivard, grand consommateur de disques devant l'Éternel, et je trouve que c'est particulièrement dommage alors que la pochette de carton est enfin remise à la mode. C'est vrai que le carton est moins durable, mais c'est justement ce qui nous force à faire attention au disque. Et puis, quoi de mieux qu'une pochette de carton un peu abîmée pour témoigner de l'importance d'un disque dans nos vies?"

POCHETTES-SURPRISES

Belle ou laide, telle n'est pas toujours la question quand il s'agit de pochettes de disques. Ce qui importe véritablement, c'est la cohérence entre le contenant et le contenu : y a-t-il décalage ou non entre la musique et la pochette? On vous propose donc un petit palmarès, celui de six pochettes cohérentes (les wow !) et de six qui le sont nettement moins (les oups !). En tout, 12 pochettes de CD québécois, lancés au cours de la dernière décennie.

TOP 6 WOW !

JEAN LELOUP- LE DÔME (1996)
Leloup avait déjà tenté l'expérience photo noir et blanc sur fond coloré pour son album L'amour est sans pitié. Mais c'est celle du Dôme qui est la plus cohérente: univers personnel et clos (comme les yeux de Leloup), sur fond éclaté et éclatant (comme la musique).

DANIEL BÉLANGER - LES INSOMNIAQUES S'AMUSENT (1992)
Les surimpressions, la palette de couleurs retenue, l'équerre formée du nom et du titre de l'album qui contraste avec l'amoncellement d'éléments dans la pièce dans laquelle Bélanger est assis: la pochette parfaite pour un disque poétique et sensuel, sans être cucul ou hermétique.

RAMASUTRA- EL PIPO DEL TAXI EP (2003)
Une pochette qui évoque parfaitement le "melting pot" vivant ET mélodieux qu'est Ramasutra, alias DJ Ram, qui mêle techno, world music, jazz, ambiant, trance : du mouvement et du rythme, mais aussi de l'épure et du ciselage.

KEVIN PARENT- PIGEON D'ARGILE (1996)
Avant les pochettes trop léchées, la toute première, qui résume encore le mieux Kevin Parent: un gars plutôt sombre, les yeux plantés dans les nôtres, avec sa guitare pour copine, dans un univers un peu brumeux et flou d'où la lumière surgit tout de même.

LES COLOCS - DEHORS NOVEMBRE (1998)
À sa sortie, l'album frappait déjà par son caractère funèbre (et magnifique), qu'on n'associait pas a priori aux Colocs. Or, les chansons faisaient toutes écho à ce petit bonhomme mort sur un trottoir de petites annonces. Et nous sommes nombreux aujourd'hui à y voir une prémonition ou, pire, un appel au secours non entendu.

MARIE-JO THÉRIO - LA MALINE (2000)
Total contraste avec sa première pochette, toute propre et lisse. Celle du deuxième album, dont la moindre pièce témoigne de l'originalité de Miss Thério, montre l'auteure-compositrice en éternelle voyageuse qui s'en fume une petite vite, dans un univers presque fait main.

TOP 6 OUPS !

RICHARD DESJARDINS ET ABBITTIBBI - CHAUDE ÉTAIT LA NUIT (1994)
C'est entendu, Desjardins n'a jamais misé sur le visuel. Mais est-ce une raison pour proposer des pochettes aux allures "progressif des années 70"? Comment imaginer que les textes d'un des grands poètes du Québec sont réunis sous cette image de minerai flottant, transpercé par l'éclair?

CORAL EGAN - MY FAVOURITE DISTRACTION (2004)
C'est un de nos disques favoris de l'année, mais certainement pas à cause de sa pochette, particulièrement "cheesy", pour ne pas dire quétaine rare.

ROCH VOISINE - COUP DE TÊTE (1994)
Manifestement, Roch voulait casser son image de beau gosse. Mais le veston rouge, le cadre doré et l'attitude, tout concourt à lui donner un air d'agent immobilier aux prises avec un marché difficile.

LYNDA LEMAY - LYNDA LEMAY (1998)
À quoi la compagnie de disques a-t-elle pensé quand elle a opté pour cette photo où la chanteuse a l'air d'une noyée souriante, au mieux, d'une anorexique qui nie son état, au pire? Et pourquoi Lynda Lemay ressemble-t-elle du coup à Farah Fawcett, mais en bleu? Mystère...

MARJO - BOHÉMIENNE (1995)
Un des plus beaux disques de Marjo, sous une des pochettes les plus navrantes, où la silhouette hyper floue de la chanteuse en noir et blanc (oui, c'est elle) n'est pas particulièrement améliorée par des "guidis" de couleur qui semblent plaqués là au hasard.

NOIR SILENCE - PIÈGE (1997)
Belle pochette, avec son cheval de Troie, très classe et sobre... à des années- lumière de la musique du jeune groupe beauceron! L'exemple-type d'une pochette qui n'entretient aucun lien avec l'album...

LA POCHETTE DE LA DISCORDE

La moitié d'entre nous trouve la pochette d' À l'ombre de l'ange (1999) trop léchée, trop glamour, à mille lieues des chansons de type Tendre Fesse. L'autre moitié trouve au contraire qu'elle rend compte du côté sombre et suicidaire d'Éric Lapointe, révélée dans certaines pièces. Bref, cohérente ou pas, cette pochette? Chose certaine, celle qui l'a suivie l'est : Adrénaline semble dire qu'Éric a bel et bien sauté de son pont stylisé, mais qu'il surgit des eaux, toujours vivant et gonflé à bloc. Et dans tous les cas, certaines pochettes très cohérentes ne sont pas pour autant heureuses: en témoigne la toute première pochette d'Éric pour l'album Obsession (1995), une pochette certes tout à fait "what you see is what you get", mais qui n'est toutefois vraiment pas à l'avantage d'Éric. Cela n'a pas empêché l'albumde se vendre à 225 000 exemplaires...

LE TOP DU DOCTEUR ÈS VINYLES JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE

Il n'y a pas que le disque compact et sa pochette dans la vie, il y a aussi eu le vinyle! Ce soir, au cours de la Musicographie Les Disques d'art présentée à Musi-Max (à 20h et à 23h), le collègue et grand amateur de vinyles Jean-Christophe Laurence témoignera de sa connaissance fascinante de la pochette d'antan. Nous lui avons demandé de nous offrir, en exclusivité, son top 3 Wow! et son top 3 Oups!

WOW!

Aut'chose - Une nuit comme une autre (1975)
"Une maudite belle photo, une pochette de calibre international"

Revoilà Réal V. Benoit (1972)
"Pour le concept et le petit côté faux-monnayeur. Ce disque vient d'ailleurs de ressortir en CD, pochette intégrale comprise."

Les Sinners - Sinnerismes (1967)
"Pour les couleurs - et quand on la brasse, c'est encore mieux!"

OUPS!

Patsy Gallant - Power (1973)
"Tout ça pour un album enregistré à Nashville... "

Les soeurs Dessureault à Noël (année inconnue)
"Sans commentaire."

Serge Locat - Transfert (1978)
"Dire que c'est le même Serge Locat qui figure sur la pochette magnifique de la Cinquième Saison d'Harmonium... "

MA POCHETTE PRÉFÉRÉE...

Et vous, quelles sont vos pochettes préférées? Participez au concours La Presse-MusiMax en vous prononçant sur notre site cyberpresse.ca Des commentaires sur ce dossier? Écrivez-nous à arts@lapresse.ca

TOP 6 CLICHÉ!

Comme en toute chose, les clichés abondent sur les pochettesles pochettes de hip hop avec les gars en t-shirt XXL, casquette et bijoux; les pochettes de métal avec leur lettrage gothique; les pochettes techno, extra-super-hyper minimalistes. Mais ce n'est pas tout...

POCHETTE POUPOUNE: JACYNTHE ENTENDS-TU MON COEUR
De nombreuses jeunes femmes ont eu droit à ce traitement, de Mitsou à Kathleen, en passant par Ève et Jacynthe: atmosphère faussement glamour ou sexy, avec mini-jupe, mini-short, poitrine dénudée ou longues cuisses à l'appui. Et blondes.

POCHETTE JAUNE: ISABELLE BOULAY ÉTATS D'AMOUR
Le film jaune ou ambre par-dessus la photo a toujours la cote, quel que soit le genre musical de l'artiste (habituellement une femme): Isabelle Boulay, Claire Pelletier, Julie Masse, Johanne Blouin, même couleur.

POCHETTE DE NOËL:MARIE-MICHÈLE DESROSIERS CHANTE NOËL AVEC LE CHOEUR DE L'ARMÉE ROUGE
Noël, c'est l'amour, les cadeaux et... l'époque des pires pochettes de l'année. Marie-Michèle Desrosiers a atteint un somment avec celle-ci (qui enrobe, par ailleurs, un beau disque de Noël). Mais elle n'est pas seule dans cette catégorie qu'on songe à Bruno Pelletier, Claude Dubois... ou au Noël romantique de Pierre "Sax" Dumont.

POCHETTE LIVE: VILAIN PINGOUIN JEUX DE MAINS
Comme c'est un disque enregistré en public, eh bien, sur la pochette, on voit le public! Eh, eh, concept. Et pratiquement toujours en duotone.

POCHETTE FLOUE: LES RESPECTABLES $=BONHEUR
C'est un peu méchant, mais on ne peut jamais s'empêcher de se dire que la photo ou l'artiste (eh oui, c'est aussi souvent une femme) devait avoir l'air coucicouça pour qu'on soit obligé d'avoir recours au flou dit artistique...

POCHETTE TROP ÉCLATÉE: LES GLOBE-GLOTTERS GARG
L'éclectisme, c'est bien, mais ça mène souvent à des pochettes weird où l'ouverture à tous les genres mène au salmigondis incompréhensible. C'est le cas des Globe-Glotters, groupe intéressant qui mêle les chants de gorge tibétains au flamenco, au folk et même au métal. Difficile à illustrer, c'est vrai, mais bon...

Photo: Avec Carlito Dalceggio, Thomas Csano a conçu les deux pochettes - couronnées de prix - de Ramasutra (DJ Ram), The East Infection et El Pipo del Taxi EP.
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Dernière mise à jour le 27 septembre 2004.
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