Jean Leloup, devenu rockeur, change de son avec L'amour est sans pitié
par Alain Brunet
dans La Presse, 25 août 1990
Entrevue

Cette fois, le speedé Leloup ne se mettra pas à gueuler sur le conformisme du showbizz québécois, il ne stupéfiera point l'animatrice de Bon Dimanche en lui confiant qu'il s'est emmerdé en chantant dans Starmania, il ne déconcertera pas ses producteurs en clamant bien haut qu'il n'aime plus son disque nouvellement lancé.

«J'aime tout de ce disque», soutient Jean Leloup, prêt à défendre sans réserve L'amour est sans pitié, son p'tit dernier. Cette fois, Jean Leloup met toute son énergie pour resituer son personnage sans pour autant se repentir de ses frasques passées. Car il a beau être un prospect de choix pour la culture d'ici, reste qu'il n'a vendu que 12000 exemplaires de son premier microsillon.

«J'aimerais bien créer un vrai coup de coeur plutôt que de susciter un succès de critique», lance Leloup, relaxe, affalé devant son allongé.

L'inflation médiatique

A la sortie du premier microsillon de Jean Leloup, Menteur, quelques finfinauds de la grande culture ont crié au génie. Mais nombre d'esprits mobilisés par ce bel enthousiasme médiatique sont restés sur leur faim lorsqu'ils ont vu la bête sur scène, notamment lors de sa très moyenne performance aux Francofolies montréalaises (l'automne dernier); rock de planche à laver, linéarité totale, livraison nettement inférieure au disque qu'il avait déjà renié.

En bref, Jean Leloup a subi le traitement qu'une petite société réserve aux jeunes gens de talent: les porter aux nues avant le temps et provoquer l'effet de ressac, risquant de tuer dans l'oeuf la recrue. Rappelez-vous Jo Bocan, Michel Lemieux...

«Ça devenait énervant à la fin, se rappelle Leloup. En plus de recevoir une surdose d'information sur moi-même, c'était très dur d'accoter cette réputation de flyé. Mais je ne me préoccupe pas tant que ça de la critique, de moins en moins en tout cas. Je désire avant tout que le monde écoute», soutient-il.

Le garçon de 29 ans fait un peu freak avec sa casquette néo-psychédélique, sa chemise western et les joues esquintées par les coupures d'un mauvais rasage. Son accent mi-québécois mi-français, ses coq-à-l'âne , l'émerveillement un peu fou de son regard, ses retours abrupts à la lucidité ne présentent pas un gars ben ordinaire. Pieds nus, il débarquait à la salle de rédaction, les gougounes dans les mains et le sac sur le dos. «Y a rien de flyé là-dedans, y fait chaud. J'ai mis mes shorts et mes gougounes, c'est tout», alléguait le chanteur afin d'évacuer les remarques sur le soi-disant côté original de sa personne.

D'accord Leloup, allons prendre un café. Mais il faudra admettre qu'entrer chez Van Houtte ainsi fringué peut attirer le regard des madames, surtout lorsque tu leur demandes du feu parce t'as plus d'allumettes...

«Parlez-donc de mes textes»

On ne passe donc pas un moment avec Jean Leloup sans parler de sa fameuse image. «Parlez donc de mes textes et de ma musique plutôt que de mon personnage», rétorque-t-il à tous les journalistes de la terre. «Je trouvais plutôt hilarant le traitement que la critique me réservait l'an dernier. Toute la promotion était basée sur le fait que j'étais flyé, toujours gelé ou saoul. De la dope, j'en ai fait moins que du monde ben clean qui ont une meilleure image. Et puis j'écris des chansons, je tourne beaucoup, j'embauche des musiciens, je viens d'enregistrer un disque. Si j'étais si gelé, pourrais-je faire tout ça? Avant de fouairer et de faire l'original, il faut travailler», annonce la fourmi à la cigale.

«Mais non, je ne m'en crisse pas, j'aime tellement ce métier-là», renchérit l'animal. C'est vrai, Leloup aime ce métier, ses yeux flashent lorsqu'il en parle, d'autant plus qu'il croit avoir trouvé le véhicule idéal pour ses textes. Suite à quelques cavalcades en France et en Espagne, le chanteur avait ramené des musiciens qui forment maintenant le noyau de son groupe, La Sale Affaire. Après plusieurs mois d'ajustements, Leloup prétend à un produit solide.

Un son pas trop astiqué

«J'aime tout de ce disque. C'est le son que je désirais, on a durement travaillé», lance l'artiste, fier de L'amour est sans pitié. «Je ne voulais plus de ce son trop astiqué sur Menteur. J'étais déjà ailleurs lorsqu'il est sorti», se rappelle-t-il. Où était Leloup? La tête dans le rock. «Je voulais un son plus assis, plus pesant. Maintenant, on peut saisir les textes, même si on pousse à fond le système de son», souligne le chansonnier devenu rockeur. «J'aime les affaires casse-gueule, voilà pourquoi j'aime tout du nouvel album». En modifiant totalement l'approche de son premier disque, Leloup pouvait effectivement se la casser bien dur. Un an plus tard, l'opération est réussie: L'amour est sans pitié a effacé plusieurs bavures que laissait présager le nouveau trip du chanteur sur scène.

«On disait que mon show allait être génial alors que je n'avais même pas les moyens de m'acheter la guitare que je désirais. Le rock qu'on fait, ça prend de l'équipement pour le faire. En disant ça, je ne renie pas mes défauts. L'an dernier, ça sonnait parfois tout croche. Mais j'ai hâte d'avoir du blé! J'achèterai des décors, des amplis dispendieux...», rêvasse-t-il. Au menu de L'amour est sans pitié, quelques trucs inspirés des Stones, d'autres saveurs à la Jacques Dutronc, des emballages rock légers ou blindés. Mais ne demandez pas à Leloup de se situer dans le contexte de la pop actuelle. Au fil des questions, on diagnostique rapidement ses connaissances relativement limitées en la matière. Ses influences? Bashung, Honeymoon Killers, les Stones, les Doors, il aime Pagliaro, etc.. «Je n'écoute pas beaucoup de musique. C'est pas ça mon trip, la musique me dérange: il faut que je m'arrête et que j'écoute. Je suis du genre à tripper hard sur la musique, et ne plus rien écouter pendant un mois», explique l'instinctif.

Lorsqu'on le questionne sur ses références littéraires, il se fait nettement plus articulé: Bukowski, Borges, Henri Michaux, Voltaire... «Je déteste la poésie romantique, les yeux dans le beurre et les déchirements intérieurs. J'aime les choses directes. Il faut que ça cogne dans les textes», lance-t-il.

Leloup, le poète des fonds de ruelle? Que non! Fils d'un prof de physique, formé dans les lycées français d'Alger et du Togo, on parle d'un surexcité de bonne famille dont la psyché ne peut faire autrement que façonner un autre monde avec le monde.

Un monde d'artiste? «Je n'aime pas les artistes, corrige le chanteur. J'aime les bons vivants et les aventuriers. J'aime mieux un poster qu'une peinture, je préfère Batman ou Indiana Jones à un film sérieux. J'aime les vraies histoires. Tiens, hier, j'étais en train de baiser avec ma blonde et lorsque je suis venu, notre chatte a accouché sur le lit! En même temps! Flyé, non?». Mets-en!

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Dernière mise à jour le 1 novembre 2001.
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