Bran Van 3000 / Le monde est un grand Montréal
par Philippe Renaud
dans La Presse, 23 mai 2001
Entrevue

Quatre ans après le très célébré Glee, le groupe montréalais Bran Van 3000 lance enfin son deuxième album, Discosis. Le leader incontesté, le Bran Man James DiSalvio, nous en parle.

Alors, James, t'as travaillé beaucoup durant les quatre dernières années, depuis la sortie de Glee? «Non, man, lâche le musicien touche-à-tout. J'ai utilisé le budget d'une grosse compagnie pour me payer une ride! C'est vraiment ça. Zut, je me suis dit: je ne suis pas marié, allez, je pars sur un trip rock'n'roll pis je travaille quand ça me tente, avec qui ça me tente.»

Le rendez-vous avec le Bran Man avait été donné au café du centre Ex-Centris, en ce grisâtre début d'après-midi. James est très poqué: il a fait la fiesta toute la nuit dans un minirave d'entrepôt embaumé par la sélection de DJ Luc Raymond, prétexte au tournage du clip de Astounded, premier extrait de son nouvel et attendu album, Discosis.

«Regarde en face, me signale du menton James DiSalvio, c'est là que tout a commencé...» Devant l'Ex-Centris, dans ce deuxième étage aujourd'hui déserté, le défunt Di Salvio, réputé troquet branchouille de cette non moins branchouille portion du boulevard Saint-Laurent. C'était le troquet de papa, là même où James a fait ses premières armes en tant que DJ. Souvenirs. À tout bout de champ pendant l'entrevue, James jette un oeil sur ce deuxième étage, comme pour y saluer quelques fantômes d'une ancienne époque.

Deux disques, plusieurs collaborations, remix, vidéoclips sont issus de l'imagination de James DiSalvio depuis. Avant, le personnage faisait ses rencontres en remontant le boulevard Saint-Laurent; aujourd'hui, il croise ses nouveaux amis aux quatre coins du globe. Ce qui lui fera dire que «au fond, le monde est un grand Montréal».

Parmi les rencontres qu'il a effectuées pendant sa ride, le toaster jamaïcain Eek-a-Mouse (sur Shopping, l'une des meilleures chansons de Discosis), Dimitri from Paris et la légende du hip hop old-school Big Daddy Kane (sur Discosis et Loaded), Youssou N'Dour (sur Montreal et Senegal), le chanteur pakistanais Badar Ali Khan (Stepchild), l'infâme Jean Leloup (qui débite des insanités sur le Jean Leloup's Dirty Talk) et, bien sûr, le grand Curtis Mayfield, sur le premier extrait, qui lui a prêté des vieilles bandes d'une reprise de son succès Move On Up avant de passer l'arme à gauche.

De la musique, comme de ces rencontres, se dégage une certaine spontanéité. Di Salvio carbure à l'instant présent, ce qui lui confère un air d'insouciance. «C'est peut-être juste d'avoir conservé mon côté bon vivant à travers les soucis. Le truc, c'est d'avoir du fun dans tout ce qu'on fait!»

James DiSalvio a aussi adopté l'imprévisibilité comme méthode de travail. Comme à l'époque de Glee, auquel une vingtaine d'amis (dont Adam Chaki, EP Bergen et Leloup, ses éternels comparses) ajoutèrent une couleur de joyeux bordel bien... montréalaise. «Ce qu'on a, ici, ce n'est pas tant un son, explique-t-il. J'ai comme voisins les membres de Godspeed You Black Emperor!, Kid Koala, Chaki... Des gens qui ont du succès mais qui font de la musique complètement différente. C'est plus une attitude qu'on dégage qu'un son. L'attitude montréalaise, on trippe naturellement!

«Tiens, pendant que je t'ai, pourrais-tu clarifier quelque chose? Si j'avais pu remplacer le mot collectif par work-in-progress, il y a 5 ans, ça m'aurait rendu la vie plus facile... Collectif, ça sonne comme colloque, sauf que ce n'est pas vraiment ça, je ne suis plus entouré de 20 personnes. C'était l'époque de Glee. Aujourd'hui, c'est vraiment un work-in-progress. C'est sûr qu'il y aura toujours EP Bergen dans le projet, mais les autres (Stephanie Moraille) font leurs affaires. Sara (Johnston) et Jayne (Hill), on a toujours été les trois storytellers dans BV3000. Juste pour dire que ça ne devrait jamais être ce qu'on croit vraiment que c'est. Quand quelqu'un me demand de quel instrument je joue, je réponds que je joue des concepts.»

À l'image du personnage, ce «concept» Discosis. Éclaté, ensoleillé, bourré de références à sa ville (la chanson Montreal fait référence à la Main, à la montagne...), tirant dans toutes les directions musicales, pop à l'os. Le projet le plus pop que Grand Royal, label des Beasties Boys, aura jamais lancé, lui fais-je remarquer.

«Mais c'est pas Britney, quand même, se défend-il. T'attraperas pas de caries à écouter ça! Je pense que les Beastie Boys respectent ce côté-là, expérimenter avec la pop comme je le fais. Au fond, je pourrais appeler ça du experimental disco... Le disque est plus mature que Glee, mais c'est toujours punk dans l'esprit. J'essaie juste de trouver d'autres façon de fucker avec la pop!

«C'est ça, la différence entre Glee et Discosis, résume James. Ça fermente plus dans la pop. Glee et Discosis, c'est le même disque, mais avec des couleurs différentes. On évolue progressivement, en essayant de faire de la pop-pakistanaise, pop-sénégalaise, pop-ragga, pop-latino...»

Mais voilà, l'entrevue achève et les collègues font la queue pour jaser avec la pop-star. Pas facile, la vie d'artiste: pauvre James, il cogne des clous, les cheveux en bataille, accoutré comme un beatnick perdu dans un marché aux puces. À son poignet, un bandeau de tennis auquel est agrafé un macaron de Madonna, époque Like a Virgin...

«Ouais, j'sais pas, sourit-il. Madonna, parce que 2001 sera l'année où on déconstruira la pop!» Et devant lui, cet immense chantier musical à l'idée duquel il salive déjà. «Attends d'entendre le prochain album, ça va être complètement différent...»

Honnêtement, de vous à moi, il n'a aucune espèce d'idée de quoi ça aura l'air...

(Article original)


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Dernière mise à jour le 23 mai 2001.
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