Dumas - Solidaire et lucide
par Marc Cassivi
dans La Presse, 23 janvier 2007
Entrevue

Je rencontre Dumas au restaurant Robin des Bois, boulevard Saint-Laurent. Il entame ce soir au National une nouvelle série de huit spectacles à Montréal, avec des supplémentaires début avril. Au menu: son nouvel album Fixer le temps. Discussion sur la musique québécoise avec un jeune mélodiste hors du commun.

Je t'ai souvent vu dans des spectacles, notamment ceux d'autres musiciens de ta génération. J'ai l'impression d'une certaine solidarité chez les jeunes musiciens québécois en ce moment, d'une espèce d'émulation. Il y a beaucoup d'échange. Comment vis-tu ça? Est-ce que tu te sens partie prenante de ce mouvement-là?

Dumas: Oui. Je trouve que le paysage a changé énormément depuis que j'ai lancé mon premier album, il y a presque six ans. Ç'a évolué de plusieurs façons. Il y a beaucoup plus de musiques émergentes qui trouvent une place dans les médias, il y a plus de jeunes qui s'intéressent à la musique québécoise. Il y a beaucoup de rencontres. Mes musiciens jouent dans Plaster, par exemple. Il y a aussi un respect entre les musiciens, des ponts qui se font entre les artistes francos et anglos, ce qui se faisait moins avant. J'en discutais avec Patrick Watson dernièrement. Je trouve que le phénomène des Cowboys fringants a beaucoup fait évoluer les choses. Les Cowboys ont réintéressé les jeunes à la musique québécoise. Quand j'étais adolescent, il y avait Leloup et c'est tout. Notre génération a eu un déficit de musique québécoise. C'est peut-être en réaction à ça qu'on se retrouve aujourd'hui.

M.C.: Le moule a été cassé. L'idée qu'on se faisait de la musique québécoise n'est plus la même. Ça va maintenant dans toutes les directions. C'est difficile de définir la musique québécoise ou le rock québécois aujourd'hui. La définition est très large et c'est tant mieux.

D.: Je me rappelle quand j'étais ado et que je pensais à la musique québécoise, c'était beaucoup à la musique des années 60 ou 70

M.C.: On a été plusieurs, à 17-18 ans, à écouter du Harmonium et du Beau Dommage. Aujourd'hui, au cégep, sans doute qu'on écoute encore du Paul Piché, mais beaucoup plus les Cowboys fringants. Il y a des références plus actuelles. Quand j'étais au cégep, j'ai découvert Leloup et L'amour est sans pitié. Avant ça, je n'écoutais pas de musique québécoise. C'était Vilain Pingouin et les Parfaits Salauds...

D.: J'ai l'impression que ce qui se passe en ce moment ressemble un peu à ce qui se faisait dans les années 60, avec Charlebois et les autres. Il y a eu tout un mouvement influencé par la musique américaine. On verra historiquement dans 50 ans, mais avec les artistes qui sont là en ce moment et la réponse du public, je pense que c'est une période dont on va se souvenir. Il y a une réelle solidarité. Chacun a un désir personnel de réussir ce qu'il fait, mais il y a aussi un effort de groupe pour emmener la musique québécoise plus loin. J'ai fait la première partie des Cowboys en France, j'ai croisé Ariane (Moffatt). On sentait peut-être encore plus notre solidarité là-bas. Évidemment, les Français ont énormément de préjugés sur notre chanson, parce que depuis quelques années, il n'y a que la variété québécoise qui se fait entendre là-bas.

M.C.: C'est le règne de Céline Dion et ses émules Vous avez eu le sentiment qu'il fallait leur montrer que la musique québécoise, c'est aussi autre chose?

D.: On a eu un sentiment d'appartenance. Pour moi, c'est une forme d'engagement. Faire connaître notre culture ailleurs, c'est concret, je trouve. D'avoir réintéressé les jeunes à la chanson québécoise, c'est déjà beaucoup. Celui qui s'intéresse à la chanson va peut-être s'intéresser au roman québécois, à sa langue.

M.C.: À l'époque de Charlebois, le cinéma, la chanson, la littérature semblaient peut-être davantage imbriqués. Il y avait à la fois un impact politique. C'était l'époque

D.: Je suis un grand fan de cette époque-là. Ducharme, Hubert Aquin, avec la musique de Charlebois en arrière-fond.

M.C.: Tu es un grand fan de musique. Tu en écoutes beaucoup. Ta musique est pleine de références, autant aux années 60 et 70 qu'à la période actuelle. As-tu toujours été comme ça? Qu'est-ce que tu écoutais à 15 ans?

D.: Il n'y avait pas de disques chez nous à Victo. Ma passion vient peut-être un peu de ce manque-là. Je suis vraiment de la génération MusiquePlus. Mes premiers contacts avec la musique, ç'a été les vidéoclips. Au cégep, en arts et lettres, j'ai étudié l'histoire de la musique québécoise. Mais je pense que la boulimie que j'ai aujourd'hui vient probablement du fait que je n'ai pas grandi entouré de disques et que je n'avais pas assez d'argent pour en acheter. Je compense comme je peux. J'achète peut-être cinq disques par semaine. Je n'ai pas de télé. Mon divan fait face à mon système de son. Je lis beaucoup de revues de musique. C'est vraiment un plaisir. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la musique. Là, je suis dans Bob Dylan. J'étais un peu passé à côté. J'aurais aimé ça être journaliste de musique.

M.C.: Est-ce que ta façon d'écouter de la musique, d'en consommer, a changé avec les possibilités d'aujourd'hui, le téléchargement et tout ça?

D.: Ça dépend. J'aime encore acheter des disques. J'aime l'objet, la pochette. J'aime la qualité de son que le CD offre. Mais je fais aussi beaucoup de Web. MySpace, je trouve ça génial. Ça m'a permis de découvrir Le Husky, qui est un nouvel auteur-compositeur que j'ai invité à faire mes premières parties. Je trouve ça intéressant pour les bands de pouvoir être diffusés sans avoir de machine en arrière. Mais je crois encore en l'importance des albums de qualité, des albums studio. Ce ne sont pas tous les projets qui nous permettent de faire les choses à la maison, sans moyens. C'est comme en cinéma. On peut faire des films en vidéo, mais il n'y a rien qui bat la pellicule. Je crois beaucoup à l'intelligence et au bon sens des gens en ce qui concerne le téléchargement.

J'imagine que quelqu'un qui télécharge mon disque va finir par l'acheter ou venir voir le spectacle. Le spectacle devient plus important qu'il l'était.

M.C.: Les gens consomment de différentes manières. J'en connais qui n'ont pas de scrupules à télécharger le disque d'un groupe établi et soutenu pas une grosse compagnie, mais qui ne téléchargent pas de musique québécoise. Éventuellement, sans doute qu'il y aura une autre façon de distribuer les droits d'auteurs qui fera en sorte que les artistes ne seront pas lésés.

D.: Une question que j'aimerais poser à ceux qui téléchargent de la musique, c'est: "Combien de disques achetiez-vous avant que les MP3 arrivent?" Est-ce que c'était vraiment des acheteurs de disques? Je ne suis pas sûr. Je connais des gens qui écoutent plus de musique maintenant à cause des MP3. Ils écoutent 15 disques par semaine au lieu d'un seul. Il faut en prendre et en laisser.

M.C.: C'est difficile pour un boulimique de musique de résister à la tentation du téléchargement. Tout est là, à portée de la main. On est parfois curieux, mais on n'a pas les moyens de tout acheter. Alors on télécharge une ou deux chansons pour se faire une idée d'un disque ou d'un groupe. Je trouve aussi que MySpace est une façon intelligente de faire le tri.

D.: Le danger, c'est que les gens n'achètent pas le disque. La vérité, c'est que faire des disques, ça coûte cher. Avoir une belle qualité, travailler avec des gens intéressants aussi ça coûte cher. Il y a des revenus qui sont générés par le disque. Avec iTunes, il y a une certaine façon de gérer les MP3 pour que ce soit intéressant pour tout le monde. Je crois vraiment au bon sens des gens.

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Dernière mise à jour le 19 novembre 2007.
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