Party... de cuisine!
par Pascale Pontoreau
dans La Presse, 20 octobre 1997
Critique

Selon le dictionnaire Larousse, dernier du nom, une fête est un «ensemble de réjouissances organisées par une collectivité ou par un particulier». Et faire la fête signifie précisément «se divertir en buvant, en mangeant et en dansant», bref en «menant une vie de plaisir». Vu le nombre de souvenirs hauts en couleur que génère la simple évocation du Spectrum, les spectateurs étaient en droit de s'attendre à un spectacle de 15e anniversaire qui réponde à la définition d'une vraie fête. Au lieu de cela, ils ont pu apprécier, dans un élégant décor, un défilé de notes, savamment orchestrées, qui ne risquaient pas de tomber dans l'excès!

Au lieu d'un happening, on s'est contenté d'une course contre la montre. Au lieu d'un événement, on a écouté une série de chansons qu'on connaissait, interprétées par des artistes qu'on connaissait. André Ménard et Alain Simard ont annoncé des surprises en introduction; au delà des petits fours servis tard dans la nuit, nous attendons encore!

Mais au moins, les téléspectateurs assisteront, le 9 novembre prochain, dans le cadre des Beaux Dimanches, sur les ondes de Radio-Canada, à une bonne récapitulation de ce qui, au Québec, fonctionne le mieux en musique francophone depuis les dix dernières années. Est-ce un hasard, la majorité des artistes ont été ou sont encore en contrat avec Audiogram, la branche disque de l'Équipe Spectra, marraine de la soirée. De plus, le décor - 15 bougies représentées par des colonnes changeant de couleurs et surmontées de véritables bougies incandescentes - donnait, devant l'oeil magique de la caméra, l'illusion d'un gâteau, ce que l'on ne pouvait distinguer de la salle.

On ne le dira jamais assez, les captations destinées à la diffusion télévisuelle sont un véritable calvaire pour les spectateurs. Les interludes publicitaires sont, sur scène, dédiés au changement d'instruments, les caméras se baladent - malgré le désir évident de discrétion des habiles techniciens - dans le champ de vision. Surtout, qui dit captation dit propreté: un horaire respecté - même s'il peut être saucissonné au montage - et serré, et pas de fausse note; plutôt, une gentille adhésion de tous les participants à cette fête organisée.

Évidement, cette structure rigide se ressent dans les choix artistiques. À part Éric Lapointe, qui a interprété Mon ange - trop sage pour l'occasion -, un inédit de son propre répertoire, et Michel Rivard, qui a repris Shefferville accompagné du même Éric Lapointe dans un grand - unique? - moment d'émotion, aucun des artistes présents n'a fait preuve d'excentricité. Alors que Jean Leloup, parfaitement détaché, glissait d'inattendus «Que le bison pète» dans Le Monde est à pleurer, chacun y allait de son titre.

Sans tomber dans le gros succès, ils - Lhasa, Marjo et Louise Forestier défendaient à elles seules les couleurs féminines - ont enchaîné deux pièces classiques, dans un registre calme soutenu par des versions exclusivement acoustiques. Un choix judicieux qui laissait toute la place aux interprétations d'un Plume Latraverse et de ses Timononk's pour Si, et à Richard Séguin dont la délicate intro à l'harmonica sur L'Ange vagabond redorait cette ode culte dédiée à Kérouac. Zachary Richard sortait quant à lui un Jean le batailleur intense. Lhasa de Sela, un peu perdue parmi les noms qui l'entouraient, s'en est très bien sortie, se laissant ainsi découvrir par un public qui ne la connaissait pas forcément.

Tirant leur épingle du jeu, Marie-Lise Pilote et Guy A. Lepage s'amusaient. «Sur cette scène, avec RBO, je me suis mis 67 fois les fesses à l'air. Il n'y aura pas de 68e fois! Mais pour souligner cet anniversaire, je vais vous lire des télégrammes que nous avons reçus de nombreux artistes». Et d'énumérer certains de ses «faux» remerciements cyniques à souhait. L'ex-fille du Groupe Sanguin (une formation qui ne jurait que par le Spectrum d'ailleurs) a rappelé que «depuis 15 ans, des artistes se produisent sur scène et se reproduisent dans les loges, et on a seulement dénombré trois verres cassés» !

En deuxième partie, l'atmosphère polie s'est légèrement décontractée. Louise Forestier, en tigresse, faisait retentir son rire tonitruant en présentant Paul Piché, qui a réveillé ses fans d'un Escalier stimulant. Et tout a continué, sans heurt, jusqu'à l'arrivée de Daniel Bélanger, dernier invité - Zébulon ne rentrant plus dans l'horaire surchargé -, qui a enfin fait lever la salle avec Le Parapluie et Cruel. Il était malheureusement temps... de partir!

Photo: Jacques Nadeau. Zachary Richard a livré un Jean le batailleur intense lors du spectacle de 15e anniversaire du Spectrum.
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Dernière mise à jour le 17 décembre 2004.
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