Jean Leloup Légende(s) urbaine(s)
par Alexandre Vigneault
dans La Presse, 19 juillet 2003
Entrevue

Une voie ferrée, une famille d'artistes, un chaos perpétuel et des kilomètres de rues à arpenter, l'univers de Jean Leloup tient, tant bien que mal, dans un quartier et une tête secouée par une incessante tempête d'idées. Troquant l'approche «simplicité volontaire» de son dernier disque, La Vallée des réputations, contre un big band qu'on imagine déjà déluré, le maître de la pop célèbre 15 ans de vie artistique avec un nouveau spectacle aux FrancoFolies. Ses proches collaborateurs racontent l'ami, le créateur et le personnage, sans promettre de dire juste la vérité... et encore moins toute la vérité!

«Mes amis, je les achète pour ne pas qu'ils disent du mal de moi. Même mes ennemis ont de la misère à parler contre moi», assure-t-il d'un ton à la fois confiant et taquin. Éparpillé entre mille et un projets - un DVD, un livre et un nouveau clip, notamment - Jean Leloup s'affaire à monter son nouveau spectacle ces jours-ci. C'est d'ailleurs à la fin d'un après-midi de répétition qu'on l'a croisé cette semaine à la terrasse d'un café. Un presque hasard, arrangé par le gars des vues.

Leloup est passé en coup de vent, avec une amie, dire quelques mots à son nouvel associé côté clips et films, Carlos Soldevila. Le gars des vues. «Les seules qui ont le droit de dire du mal de moi, ce sont les filles», avertit Jean Leloup, jetant un regard malicieux à sa compagne. La jeune femme est prête à le traîner dans la boue, en effet, en autant que le cachet en vaille la peine. Ne disposant d'aucune allocation de dépenses pour cette enquête très sérieuse, on a dû décliner sa proposition indécente.

Qu'aurait-elle pu dévoiler? Même la plus célèbre des ex de Leloup, Isabelle Chtedétest (l'orthographe est d'elle), n'a rien retenu contre lui. Ou si peu. «Après le succès monstre de la chanson Isabelle, j'ai fondé la Ligue de défense du droit des muses, raconte-t-elle dans un courriel. Il me semble que si la création se chiffre à 10% d'inspiration pour 90% de sueur, la muse est en droit de réclamer au minimum ce 10% du droit d'auteur.»

Confrontée à la lenteur des processus administratifs, elle a changé de tactique et opté pour l'autobiographie. Scoop: elle annonce la sortie d'un livre intitulé Au lit avec Jean Leloup : 15 ans plus tard en 2004. Sa grande oeuvre «révélera tout, mais absolument tout» sur sa tumultueuse relation avec ce «grand mystificateur». Juré (hum!), craché.

Le vrai du faux

Gitan urbain? Bouffon lucide? Esprit psycho-maniaco-créatif? Chercher les mots justes pour décrire Jean Leloup est un exercice vain. Impossible de le mettre dans une boîte sans qu'il en dépasse un bout. Ses proches se contredisent parfois sur sa nature profonde, mais ils s'entendent tous pour dire qu'il ne tient pas en place. «La cheville est le muscle principal du poète», a-t-il déjà révélé à son ami James Di Salvio (BV3), réalisateur des clips Isabelle, 1990, Cookie et Le monde est à pleurer. Leloup travaille donc en mouvement.

«On marche beaucoup sur la voie ferrée située pas loin de l'atelier, confirme Carlos Soldevila. On fait nos réunions en marchant. Son bureau, ce n'est pas entre quatre murs, mais les cafés, la rue et la voie ferrée. Jean Leloup est un peu comme un gitan, il se promène beaucoup et il a un esprit de clan. Il a une petite famille de gens avec qui il aime travailler et à laquelle il est fidèle.»

Ses proches le décrivent comme un être généreux, toujours prêt à donner un coup de pouce, timide et nerveux. La rumeur, elle, connaît un autre Jean Leloup. Un gars sauté qui fait le singe, tout nu, dans un arbre du parc La Fontaine. Un allumé qui chiale contre les gens matérialistes et qui se promène dans un char de yuppie: une vieille BMW rouge ou blanche (la rumeur n'est jamais sûre de rien), décapotable (pas toujours) avec des dés en minou et un intérieur 100 % tissu léopard (ça, c'est vrai de vrai). Un gars futé qui a évité le mariage de justesse en jurant à sa belle (et à sa belle-famille) qu'il était gai.

L'ultime potin, c'est toutefois cette persistante légende urbaine voulant qu'il ait déjà joué dans Passe-Partout. Le gars un peu bizarre qui cherchait toujours quelque chose (un oiseau, une pomme ou sa main), ce serait lui... «Ça fait mille ans que je dis à tout le monde que ce n'est pas vrai», réplique le principal intéressé. Son démenti officiel risque de ne pas changer grand-chose; même son grand chum James Di Salvio croit qu'il ment!

Peu importe la vérité, ces histoires ajoutent un peu de couleur à son aura de rock star hors normes. Une image dont il est conscient et avec laquelle il joue, selon son attachée de presse, Marilou David.

«Sa timidité fait qu'il en met un peu plus quand il y a une caméra, il se retranche derrière son personnage, mais ça donne un bon show, dit Richard Pelletier, d'Audiogram, qui travaille avec l'auteur-compositeur depuis une douzaine d'années. C'est un trippeux, mais pas un freak. Pas un gars bizarre au sens de bibitte.»

La frontière entre l'homme et le personnage public n'est pas aussi claire pour tous. «On ne peut pas l'accuser de ne pas être authentique, juge pour sa part Stéphanie Chabot, autre collaboratrice de longue date. Le gars qu'on voit sur scène et dans la vie, c'est le même.»

Chaos organisé

L'atelier où a été tourné le «clip en carton» de la chanson La Vallée des réputations donne une bonne idée du bordel ambiant et de la façon désordonnée dont surgissent les idées dans la tête et l'entourage de Jean Leloup. Des boîtes, des fils, des ampoules, des écrans, des cochonneries. Dans un coin, sous une bâche de plastique, quelques vieux claviers appartenant au musicien, et au beau milieu de la place, des morceaux du décor de son prochain spectacle. Tout au fond, au-dessus d'un coin cuisine, une vieille horloge décorée d'un slogan qui colle à l'artiste: «The Man Who Wants the Best».

Ses collaborateurs insistent tous sur une chose: Jean Leloup est un sacré bosseur. Un perfectionniste. Une tempête sur deux pattes. «Il a la capacité de tout foutre en l'air pour aller au bout d'une intuition, confirme Carlos Soldevila. Sur le plateau de La Vallée des réputations, il a interrompu le tournage, empoigné une caméra et fait sortir les enfants comédiens dans la ruelle pour aller péter des néons qu'on avait trouvés dans les poubelles. On n'a pas gardé la scène, mais ç'a été génial!»

Marie-Hélène Larivière, directrice senior de Spectra, qui s'est longtemps occupée de la production des spectacles de Jean Leloup confirme qu'il faut s'attendre à tout lorsqu'on travaille avec lui. Tout est toujours faisable dans la tête du chansonnier; alors, il demande parfois l'impossible... et l'obtient. «Une fois, on a dû dénicher une grosse tête d'éléphant en deux jours pour son spectacle, raconte-t-elle. Une autre fois, il demandait un château de glace en plein été!»

Leloup aimerait que tout aille vite. Ses collaborateurs disent qu'il a toujours une longueur d'avance sur tout le monde et sur tous les projets. Ça fait parfois des flammèches, ça dégénère parfois en prises de bec. «Dans l'équipe, je suis le grand vaselinateur, lance en rigolant Carlos Soldevila. Jean a une grande gueule, il se fâche avec tout le monde; alors, je mets de la Vaseline pour que les choses passent bien.»

«Une fois que tu as gagné sa confiance, il te laisse travailler, signalent toutefois Stéphanie Chabot et Thomas Bégin, les deux jeunes artistes visuels responsables de la scénographie du nouveau spectacle. Il n'appelle pas tout le temps pour savoir comment ça avance.» Un espace de liberté réjouissant pour de jeunes créateurs. Moins d'une semaine avant la première du Jean Leloup Big Band, l'élément principal du décor, une grosse étoile de bois de 14 pieds de large, est terminé. Reste à y insérer les 500 ampoules qui vont l'éclairer. Un sacré boulot, assurent-ils, mais un boulot stimulant.

«L'idée, c'était de faire quelque chose d'hyper classe et d'un peu mean, en même temps», expose Stéphanie Chabot. Quelque chose d'un peu old fashioned, comme la devanture du Théâtre Rialto, qui a inspiré le tandem. Un rideau de velours bleu et des beaux costumes (le groupe jouera en costard, cravate) compléteront le tableau avec une note de bon goût.

Leloup le superhéros

Très mobile, lui aussi (on a eu toute les misères du monde à l'avoir au téléphone...), James Di Salvio trouve que Jean Leloup tout entier se résume dans un souvenir de voyage: «Une fois à Cuba, il s'est mis à jouer avec une guitare qu'il avait presque trouvée dans la rue et il a transporté 200 personnes dans une véritable extase musicale. Des musiciens cubains sont entrés dans le jeu, ça trippait avec les tambours et ils ont vraiment connecté musicalement. J'ai vu ce jour-là le vrai pouvoir de la musique, de l'inspiration et d'une rock star.»

«Après le jam impromptu, ç'a été une belle cérémonie de femmes et de fête, poursuit-il en riant. Je ne faisais pas encore de musique à ce moment-là et ça m'a donné le goût d'en faire!» (Que ses fans se rassurent, le pilote de Bran Van 3000 dit qu'un nouveau disque s'en vient.) Leloup ne s'est pas contenté d'envoûter la foule, il a aussi joué au maître-nageur à Cuba. Le même jour, il aurait aidé à sauver des gens qui dérivaient sur la mer dans un canot de sauvetage. «C'était une journée de superhéros pour Jean!»

Que peut-on ajouter après tant d'éloges? Jean Leloup serait-il, comme il le clame dans ses plus grands excès de vantardise, un être magnifique choyé par des fées qui se sont penchées sur son berceau et lui ont fait cadeau de toutes les grâces? Puisqu'il semble la seule personne digne de dire du mal de lui, laissons-lui le mot de la fin: «Je suis égotiste, affirme-t-il, le plus sérieusement du monde. En plus, je suis menteur et hypocrite, je suis un plein de marde et je ne suis qu'à l'argent!»

Photo PC. Jean Leloup
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Dernière mise à jour le 3 août 2003.
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