Anik Jean: Karma rock
par Alain Brunet
dans La Presse, 19 février 2005
Entrevue

Il y a quelques semaines, Stephend, madame Pag, me présentait sa jeune amie au terme d'un joli récital. Lors d'une conversation téléphonique avec madame Pag, elle m'avait laissé entendre qu'une certaine Anik Jean avait du talent à revendre, que producteurs et étiquettes de disques étaient à ses trousses.

On en a pris bonne note, on lui a finalement serré la main. Bien entendu, on a eu tôt fait de remarquer sa jolie tronche, ses fringues et ses lignes vachement rock, l'assurance de sa dégaine. Puis, on a logé ce court épisode dans la mémoire auxiliaire.

Quelques semaines plus tard, Anik Jean me téléphone: « Je vous ai choisi pour écrire mon histoire. » Bon bon... La petite est sur le point de signer avec une compagnie de disques, il lui faut de la pub pour faire monter les enchères... Je lui fais savoir poliment qu'un artiste sans disque ne peut se dégotter un article dans le journal comme ça, en criant ciseau.

Au bout du fil, elle ne crie pas ciseau. Elle me propose plutôt d'écouter son travail... qu'elle serait en train de finaliser au côté d'un certain Jean Leclerc. Tiens donc. En attendant les maquettes, elle me balance une courte autobiographie par voie de courriel, que je parcours distraitement. J'écoute ses chansons et j'ai illico le sentiment net d'avoir un bon sujet.

Anik Jean me rappelle, nous fixons un rendez-vous dans quelques jours. La chanteuse m'attend dans un Second Cup du Plateau. De vive voix, elle reprend son histoire, on a tôt fait de remarquer les limites évidentes de son joual... et le peu de limites de sa vivacité d'esprit.

Enfant, Anik Jean fut rapidement repérée par les pédagogues, on a eu tôt fait de déterminer que ses talents d'artiste exigeaient une formation particulière. Elle complétera son cours primaire à l'école Le Plateau, spécialisée dans la chose musicale. Puis la jeune fille poursuivra des études moches dans des écoles privées de la Rive-Sud. À 11 ans, sa maman l'emmène à un spectacle de Bowie, elle en revient avec l'envie ferme d'être une rock star.

Depuis belle lurette, son père est rentré dans sa Gaspésie natale, elle finit par le rejoindre à Bonaventure pour y terminer son cours secondaire. Elle accompagne son père à l'occasion et contribue à faire baisser l'âge moyen des auditoires blues-rock. Féru de musique, le paternel joue régulièrement dans les clubs et festivités de sa région, ce qui permettra d'ailleurs à Anik de faire la connaissance d'un débutant nommé Kevin Parent.

Par bouts, papa Jean vit de la musique, mais il est surtout pilote de brousse. Voilà qui inspire Anik à faire comme papa — devenu gestionnaire d'un aéroport régional depuis lors. Elle obtiendra ainsi ses licences de pilote. De retour dans la région de Montréal, elle travaille dans le domaine... mais elle a tôt fait de relever tous les défis à sa portée.

Un jour de l'été 1998, son ami Kevin Parent l'invite à assister au festival Woodstock en Beauce. Au terme du périple, Anik et sa cousine croisent Jean Leloup dans le hall d'un hôtel. Les compliments sont adressés, Leloup est déjà bien installé dans la bergerie. Ils finissent par jammer ensemble et Leloup remarque ses évidentes qualités d'artiste. Il lui suggère de tout laisser tomber et de tenter sa vie d'artiste pendant qu'il en est encore temps. « Une semaine plus tard, j'avais lâché ma job. »

Le temps a filé. Anik Jean a migré vers Los Angeles où elle avait senti que ça commencerait par là. Pour ce faire, elle n'a pas hésité à contourner les services de l'immigration!

« Ma mère, une femme d'affaires de qui je tiens ma personnalité de fonceuse, m'a complètement soutenue dans cette démarche. Elle m'a fait parvenir mes bagages et m'a même fait traverser la frontière en auto parce que j'avais été bloquée à l'aéroport », raconte la jeune dame.

En toute illégalité, elle a passé quatre ans à Los Angeles, où elle a appris son métier de rock star. Il y a deux ans, elle signait une entente de production avec la compagnie World's End. Des réalisateurs haut cotés lui ont alors emballé ses chansons, enregistrées aux chics studios Paramount: Tim Palmer (U2), Jack Endino (Nirvana), Mark Needham (Cake, Fleetwood Mack), pour ne nommer que quelques pointures. Défonceuse de portes, vous dites? Déterminée. Au point de refuser de sortir le matériel enregistré pour la World's End et de rompre son entente contractuelle.

De retour à Montréal à la fin de l'été 2004 (pour de courtes vacances), elle fait écouter son matériel à son ami Leclerc. Il flashe fort, lui suggère de faire son disque ici, à Montréal, drette chez son pote David Sturton — de DNA Productions.

Anik Jean accepte la proposition. Décide de ne pas retourner en Californie. Se loue un petit appartement sur le Plateau. Se met au boulot. Dès la première session, Jean Leclerc est présent. Il trépigne d'enthousiasme à l'écoute des chansons anglaises jouées simplement à la guitare... et décide de s'impliquer à fond dans le projet d'Anik Jean. Il entonnera avec elle Je suis parti (tiré de la Vallée des réputations), il signera le texte de Junkie et elle en signera la musique. Rick Haworth (sic) flashera aussi fort sur cette jeune femme de 27 ans, lui proposant ses services pour baliser quelques pistes de guitare. Dan Georgesco, ex-Too Many Cooks, en fera autant.

Au terme de la conversation, je traverse la rue avec Anik Jean, son appart s'y trouve. Elle m'y remet un CD complet de ses chansons en anglais. Des chansons d'une puissance étonnante. Il y a des tubes à profusion, pour tout vous dire. Ça sent bon PJ Harvey, Nick Cave, Thom York (sic), Jeff Buckley, Muse et, bien sûr, Jean Leclerc. Assez de stock, en somme, pour lancer un disque en français et un autre en anglais.

Madame Pag avait raison.

Photo: Robert Mailloux, La Presse.

MCC, LTC
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Dernière mise à jour le 6 mars 2005.
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