Le Respect
par Marie Plourde
dans Le Journal de Montréal, 27 novembre 1997
Article

Non, vous ne reverrez pas Jean Leloup au Poing J, enfin pas dans un avenir rapproché. Il fait partie des artistes, de plus en plus nombreux, qui ne se sentent pas respectés par le monde de la télé.

Il fallait s'y attendre: tôt ou tard, la relation artiste-petit écran allait nous péter dans la face. Notre tube se cherche à un point tel qu'il est prêt à entuber ses pairs pour se démarquer. Or, ce que ces artisans veulent, ce n'est rien de moins que réinventer la roue, trouver d'autres façons de gonfler les sacro-saintes cotes d'écoutes, attirer les commanditaires, et tout ça afin de plaire aux patrons vendeurs de pub.

Au bout du compte, ce sont les artistes qui écopent; on les pend par les pieds pour une entrevue, on les rencontre sur une trampoline, dans un lit, dans une arène de Jello, on les déguise; bref, tout pour faire dans l'originalité. Ils deviennent alors des pitres serviles, des bouffons pathétiques qui n'ont pour seule utilité que de servir de faire-valoir à une industrie télévisuelle de plus en plus vorace. De leur oeuvre, on ne retire presque rien.

La cabale

La gangrène s'est vite répandue dans le milieu, assez pour qu'on forme une cabale contre le Poing J de Julie qui est devenu un symbole: l'ennemi à mater. On lui reproche de ne pas respecter les artistes de la chanson québécoise, de les dénaturer en leur demandant d'interpréter des chansons qui ne font pas nécessairement partie de leur répertoire, de performer en duo et, pour rajouter l'insulte à l'injure, de se produire à la toute fin du talk-show. Pis encore, quelques chanteurs, dont Zachary Richard, ont eu droit à un beau générique en pleine face, évacués cavalièrement des ondes.

Le Poing J a ses ratés et son équipe le reconnaît. Pourtant, il n'est pas pire que l'Écuyer, qui véhicule sensiblement le même message: la musique n'est pas assez hot pour être présentée en début d'émission, on la garde pour la fin; si les gens zappent, c'est pas grave. C'est ça, l'odieux. Qu'on demande à Jean Leloup de jouer du gazou avec Pier Béland, il n'a qu'à refuser, mais qu'on porte un jugement de valeur sur l'ensemble d'un art, c'est franchement tendancieux, et ce, même si les Américains mangent de ce pain.

L'ADISQ, qui n'intervient que rarement dans ce genre de cas, a élevé la voix, incitant les producteurs et les artistes qui se sentent lésés par l'émission de Julie à se faire entendre. Pourquoi le Poing J est-il devenu le catalyseur d'un malaise? Parce qu'il a commis plusieurs gaffes, soit, mais surtout parce que, fort de son succès (une moyenne de 572 000 téléspectateurs), il se permet d'être plus arrogant et plus exigeant avec ses invités, et ça, on ne le prend simplement pas. Il faut également dire que l'industrie du disque est plus frileuse en ce moment parce que les tribunes télé pour la chanson se raréfient drôlement.

La peur

Dans cette guerre d'industrie, la peur occupe donc un rôle de premier plan. D'un côté, on a la peur de ne plus être respecté, peur de ne pas vendre de disques ou de billets de spectacle, et de l'autre, on a peur de faire fuir l'auditoire. Tout le monde a le droit de se tenir debout, c'est une question de dignité mais, si la télé continue de ne jurer que par le fric, si l'industrie du disque tente de faire sa loi en proposant à ses artistes de ne plus collaborer et s'il n'y a pas de conciliation, j'ai bien peur que tout ce débat ne demeure stérile. Nul n'a à gagner dans cette partie de bras de fer. Notre univers culturel change, faudrait s'en parler franchement une fois pour toutes. Et puis, le respect, ça passe aussi par la discussion, non?

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Dernière mise à jour le 17 janvier 2001.
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