Jean Leclerc: des nouvelles du loup
par Claude André
dans ICI, 7 octobre 2004
Entrevue

Depuis que son personnage a passé l'arme à gauche, les nouvelles de Jean Leclerc se font rarissimes. En voici des fraîches et des truculentes de ce farfadet toujours aussi déluré. Exclusif.

Tu as commencé à mettre des chansons en ligne sur la toile. As-tu l'intention de continuer à le faire?
Parfois. Oui.

Ton personnage te manque-t-il?
Non, non. J'ai été Jean Leloup d'abord pour le fun. À un moment donné, je me suis rendu compte que je me devais aller au bout de ce trip. Voilà pourquoi j'ai monté le show avec des trompettes, le style music hall et tout, pour ensuite en faire un film. Pour que le film ait sa raison d'être, le personnage devait mourir. J'ai donc fait toutes mes tounes connues. Ces chansons-là, lorsque je les ai composées à mes débuts, je faisais des shows avec un haut-de-forme. J'étais un personnage. Puis, en 90, j'ai arrêté pour ensuite reprendre. Mais le personnage était toujours un peu présent. Je n'étais simplement pas allé au bout.

Ce personnage, avec son statut particulier, il a sans doute permis à Jean Leclerc de friper et de se payer du bon temps, non?
C'est sûr. Le trip rock and roll, c'est l'fun. Tu connais les années 70 un peu? Bon. Tout le monde à cette époque brûlait sa guitare. On tripait cow-boy à haut-de-forme. C'était des westerns psychédéliques, en fait. Ainsi, je suis allé moi aussi au bout de ce personnage en brûlant ma guitare sur un radeau flottant. J'étais comme Little Richard lorsqu'il offrait des shows avec ses talons hauts et ses cheveux en l'air, un personnage donc qui s'inventait un look pour triper.

Tu as eu des idoles, aimé des artistes de façon excessive?
Non. j'ai tripé sur Hendrix mais je n'ai jamais été maladif par rapport aux chanteurs, chanteuses, acteurs ou actrices.

Que penses-tu des gens qui voient leurs artistes préférés comme des thérapeutes?
C'est un peu comme lorsque nous étions petits et fascinés par un personnage dans le quartier qui était tripeux, qui l'avait, l'affaire. Cela nous donnait envie d'être comme lui. ll y en a qui tripent sur nous, mais on ne les connaît pas. Ce n'est pas si grave. Ce que je trouvais plate, c'est lorsque les gens étaient off beat pendant les shows. Mais je préfère de loin les kids qui tripent que les vieux cons plates qui sont en train de macérer leur cancer.

La scène te manque?
Les grosses foules, ça ne me tente plus tellement. Se faire prendre pour un je-ne-sais-quoi, ce n'est plus pour moi.

Tu comprends que beaucoup de journalistes ont du mal à croire à ton retrait total de la scène.
Je ne pense plus faire de grands rassemblements, ça ne me tente plus et je ne comprends plus le principe. Je préfère avoir des amis que des admirateurs.

Tu n'aimais pas être admiré?
On nous dit qu'on a raison. Les gens nous demandent si on est hot. Alors on répond par l'affirmative. On demande: "Hé, toi, tu as dû en fourrer des filles?" On n'est pas pour répondre "non, je ne pogne pas". Alors on se donne un air winner. On fait des grands sourires à tout le monde. C'est du gros smiling, tout ça. Pendant ce temps, il y a plein de monde qui n'ont pas de jobs et qui viennent de milieux où il ne se passe rien. Ceux-là te trouvent "frais chié" parce que tu as l'air hot, que tu as de l'argent pis que t'es beau. Pis toi, tu t'en vas dans les médias pour dire que tu existes. On te lance: "Tu dois avoir une grosse graine?" Et toi de répondre: "Ah oui, j'en ai une grosse en tabamak!" On rajoute: "Tu dois bien fourrer?" Et tu rétorques: "Oui, je ne veux pas me vanter, mais je fourre mieux que tout le monde."

Donc il faut jouer le jeu?
Oui, parce que, d'un autre côté, si on va devant les médias et qu'on dit: "Non, je suis ordinaire", les gens sont déçus. Alors tu portes une modestie grosse comme un camion. J'ai donc sacré ça là en 1990, mais je ne savais pas quoi faire d'autre. Là, dernièrement, j'ai fait des tounes et j'aimais ça; le monde criait et ils étaient contents. J'aufaïs pu rouler là-dessus toute ma vie, mais je me suis dit: "C'est quoi, cette histoire-là? Ai-je envie de continuer?" La réponse était négative. Moi, faire des grand-messes où je suis le prêtre, ça ne me tente pas.

Des petites salles alors?
Si je compose une vingtaine de tounes vraiment hot qui dépassent mes premières de beaucoup et que je me dis que moi, j'irais voir ça [rires], alors j'investirai les petites salles. Mais il n'y aura plus de: " Regardez comme je suis hot." C'est fini, ce temps-là. Je ne pouvais plus passer mes journées entières à me sacrifier à cette image. J'ai gagné mes médailles et je passe à autre chose.

Quels sont tes projets actuellement?
J'écris des scénarios de films tranquillement pas vite. N'oublie pas que j'ai vécu le thrill de brûler ma guitare.

Oui, quel sacrilège!
Un vrai rocker, un vrai guitar hero doit le faire. Je ne vais pas critiquer les autres, mais j'ai arrêté avant qu'ils ne soient trop jaloux. Personne n'a jamais réussi à vaincre John the Wolf sur le si mineur. Personne non plus n'a réussi à le vaincre sur une Gibson à Montréal. Maintenant, je leur cède la place parce qu'ils étalent trop humiliés. Quand Jean Leloup est mort, j'ai tout donné. J'adore les belles filles, j'adore tout le monde, mais j'ai trop gagné. Voilà la véritable raison pour laquelle j'ai abandonné. Je me suis dit: "Il faut que je cède la place sinon un jour je vais me faire assassiner." Et comme Jean Leloup avait trop peur de se faire tirer une balte, il a formulé le voeu de devenir quelqu'un d'ordinaire.

Et c'est quoi un être "ordinaire"?
Ordinaire. Quelqu'un de tranquille. J'avais fait un pacte avec la guitare et le rock and roll pour avoir une vie facile pleine de fric et de femmes. Puis, un jour, Leloup s'est rendu compte qu'il était en train de mourir de tout ce qu'il avait reçu. Mais en brûlant sa guitare, Leloup a perdu son talent de guitariste.

Châtiment de Lucifer pour haute trahison?
Dans "Exit", le solo de guitare que l'on peut entendre n'est pas de nature technique. Mais les guitaristes de Montréal feraient mieux de l'écouter, car c'est un des plus grands de l'histoire du rock'n'rolll. Les gens n'ont jamais compris que Jean Leloup était avant tout un guitariste. J'ai commencé à jouer en Afrique à 11 ans. Je m'excuse, mais j'ai grandi avec une guitare. Les gars sont bien beaux avec leurs sparages techniques mais ça sonne faux. L'essentiel, c'est de savoir faire un ré mineur au bon moment.

Elle se termine comment, la biographie de Leloup?
Il a compris que toutes ces femmes, ce fric, ce clinquant allait massacrer, tel Elvis Presley, sa vie. Je me suis dit: "Si je ne laisse pas tomber, je te jure, je vais mourir." Alors j'ai tout abandonné d'un coup sec. Et je n'ai jamais été aussi heureux.

Raconte.
Je marche dans la rue et personne ne me reconnaît. J'ai l'air d'un professeur de français.

Tu portes une veste en velours côtelé avec des pièces en cuir?
Non. Je n'ai rien changé, très élégant, très beau comme d'habitude. Mais [rires] tes gens ne me reconnaissent plus parce je ne trimballe plus ce glory. Je ressemble à un enfant, d'accès facile, super modeste. Je ne suis plus une espèce de bête de rock qui s'en allait d'un endroit à l'autre. Désormais, je suis un être affable et subtil [rires].

Pourquoi ne participes-tu pas au concours de guitaristes aux Foufs?
Je vais tout rafler. ]e ne peux pas leur faire ça. Si je ne pratique plus, peut-être que dans un an je vais devenir assez mauvais pour eux. Ils font trop de notes.

Que doivent-ils faire?
Fourrer, crisse. Et écouter du rock'n'roll. Quand tu commences le rock'n'roll, il faut que tu gagnes. Que tu fasses des hits radio, des hits en shows. Ton corps doit partir. Il faut des problèmes. Tu dois suivre une cure de désintoxication. C'est tout un monde. Qu'est-ce que les gens pensent? Que faire du rock'n'roll, c'est faire des notes? Non. On entre en rock'n'roll comme on entre en religion. Tu donnes ta foi. Tu prends ta guitare et tu l'embrasses. Il faut faire triper le monde. C'est quoi tous ces chanteurs niaiseux qui parlent de naturel et qui se prennent pour la culture? C'est n'est pas de !a culture qu'on fait, mais du rock'n'roll, de la pop. Un guitar hero doit brûler sa guitare. Il doit aimer les femmes et être un dandy western psychédélique. Voilà les lois du rock'n'roll.

À qui fais-tu allusion?
À toutes les moumounes du paysage actuel. Ils doivent comprendre et assumer qu'ils sont des rockers. Le rocker est le singe d'aujourd'hui.

Jean Leloup, tel Le Christ, pourrait-il se réincarner?
Non, car une guitare ne peut renaître même si un humain, lui, le peut. Tu sais, il m'est arrivé de perdre mon poids en jouant trop bien de la guitare. Je lévitais. Parfois ma voix était si belle que je m'envolais dans le ciel. Au Métropolis, par exemple, les gens ne se rendent pas compte, mais ils sont allés hors du temps. Et Jean Leloup a décidé de se priver de cela. Voilà sa dernière abnégation avant d'être un saint. Maintenant, je me rends compte que je marche dans la rue et que je suis devenu un saint.

Saint-Leloup?
Saint-Jean de Lecierc. Je dois faire attention pour ne pas décoller. L'autre fois, je suis passé à côté d'un paraplégique et il s'est mis a marcher.

Photo Guillaume Simoneau: Jean Leclerc: "Le rocker est le singe d'aujourd'hui."
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Dernière mise à jour le 11 octobre 2004.
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