Comme une pluie de chansons
par David Lonergan
dans L'Acadie nouvelle, 17 novembre 1997
Article

Se pourrait-il que Moncton soit la ville des excès automnals? Tandis que tout au long de l'année les films francophones, le choix des livres, la sélection des vins, les vedettes de la musique populaire francophone sont quelque part entre rares, faibles, peu fréquents, voici qu'en moins d'une saison on déborde, on croule sous les surplus: Festival international du cinéma francophone en Acadie, Fureur de lire et, pour la semaine qui vient de se terminer, Festival des vins du monde et Francofête. En l'espace de quatre jours, 35 artistes ont présenté leurs spectacles dans cinq lieux différents, tandis que les intervenants de ce que l'on appelle l'industrie musicale ont participé à différentes rencontres pour partager leurs préoccupations, échanger de l'information, établir des contacts. Bien sûr, je n'ai pas tout vu puisque plusieurs spectacles se déroulaient en même temps. Mais...

La première chose que je retiens, c'est la vitalité de la musique populaire acadienne et l'élargissement de ses horizons. Le courant «1755», comme dirait Calixte Duguay, s'il est encore fort, n'est plus aussi dominant qu'il l'a été. De Acadilac à Zéro ° Celsius, de Sylvia Lelièvre au Ronald Bourgeois Trio, de Sandra Lecouteur aux Païens, la musique acadienne court dans toutes les directions et les «vitrines explo-franco-fun» ont été une excellente occasion d'en (re)prendre conscience. Parmi les prestations auxquelles j'ai assisté, je retiens la belle présence et la chaleur de Michelle Boudreau Samson, le mélange western/chansonnier de Sylvia Lelièvre, le son «lourd» du folklore de Bois Franc et le son «piquant» de Zéro ° Celsius, la joie dansante du Glamour Puss Blues Band (à croire qu'il n'y a rien comme une bonne toune de rhythm and blues pour faire bouger), la présence intense de Ronald Bourgeois dont la guitare, ce soir-là, sonnait comme je ne l'avais jamais entendue sonner. Et il y a ceux et celles que je n'ai pu voir, mais ainsi vont les vitrines puisqu'il faut toujours choisir.

Puis il y eut les invités d'ailleurs dont le groupe français TiBert, musique rock actuelle (comme on dit «art actuel») aux souvenances folkloriques, comme si le groupe cherchait à lier modernité et tradition, pas dans le sens de reprendre ou d'adapter la tradition mais bien de la réinventer.

Le Belge Jean-Louis Daulne a été, quant à moi, la révélation. Une musique aux accents africains et aux touches de jazz (musique également née de l'Afrique), une instrumentation construite à partir d'un clavier et, surtout, de sons qu'il produisait lui-même avec sa bouche et son corps. Résonances, effets, scat, son corps et sa voix devenaient toute la chanson, toute la mélodie, tout l'accompagnement. À la musique s'est ajoutée une utilisation théâtrale du corps: le chanteur est aussi mime et à la souplesse de la voix se joignait celle du corps. Mais elle n'était pas vaine, cette virtuosité: elle était toute au service de textes qui chantent son amour pour l'humanité. Le tout habité d'une précision et d'une rigueur envoûtante.

Les Coups de coeur comprenaient tous trois parties. Et la première était un véritable lever de rideau dont deux m'ont particulièrement plu. Danielle de Vancouver, une auteure-compositrice-interprète à la voix grave et riche, un peu comme celle de Geneviève Paris, accompagnée de deux musiciens dont une violoniste absolument renversante (une véritable performeure) et le Québécois Daniel Boucher, lui aussi auteur-compositeur-interprète, seul avec sa guitare électrique pour une approche très fraîche de la chanson, tant dans la façon d'aborder les thèmes que dans le style d'écriture qu'il cherche à développer.

À l'opposé, dans les déceptions, il y eu Francine Raymond et Isabelle Longnus. Francine Raymond peut-être plus par son attitude que par ses interprétations. Peut-être a-t-elle mal dormi comme elle s'en est lourdement plainte, sans doute y avait-il des joyeux fêtards à son hôtel, mais cette façon de critiquer relève plus du privé que du public. Il y a quelque chose qui ne s'est pas passé lors de ce spectacle et c'est dommage, parce que ses mélodies sont superbes et ses textes personnels. La Vancouvéroise Isabelle Longnus avait choisi de nous présenter son nouvel album avec un orchestre de sept musiciens, dont un tromboniste et un trompettiste: en ces jours d'économie et d'orchestres minimaux, de quoi susciter l'envie. Malheureusement le tout sonnait confus, comme si les instruments n'arrivaient pas à se différencier ou comme si l'ensemble n'était pas assez uni.

Il est vrai que ce spectacle a été présenté à l'Osmose et queTrans-Acadie, qui ouvrait la soirée, n'a pas non plus été sonorisé adéquatement. Manifestement, le son et l'éclairage étaient réglés en fonction de Jean Leloup qui a offert une prestation à la hauteur des moyens dont il disposait. Un trio rock qui poussait les chansons, une voix qui attaquait les paroles, un rythme d'enfer: pas de présentations de chansons, presque pas de paroles, mais une enfilade de chansons qui en devenait hypnotique à qui se laissait porter par la musique.

Et puis, il y eut aussi les spectacles qui, comme celui de Leloup, répondaient aux attentes. Denis Richard, bien content de jouer devant un public adulte, lui qui tourne en ce moment dans les écoles secondaires dans des conditions bien particulières (ce qui est le «destin» de ce genre de tournées). Un spectacle bien rodé dans lequel on retrouvait l'essentiel de son disque. Marie-Denise Pelletier qui a su, lentement, de chanson en chanson, créer une montée pour aller chercher la profonde attention du public et qui a offert, en dernier rappel, une amusante chansonnette «Rentrez chez vous» qui confirmait la complicité qu'elle avait développée avec le public. Et, une fois le dernier spectacle terminé, quelque part aux petites heures du matin, Moncton s'est rendormi pour un long sommeil, jusqu'au prochain excès: comme une pluie soudaine de chansons...

(Article original)


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Dernière mise à jour le 17 janvier 2001.
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